LiberalismeFrancis Parker Yockey |
Le Libéralisme est un très
important sous-produit du Rationalisme, et ses origines et son idéologie
doivent être clairement exposés.
La période des «Lumières» de l'histoire occidentale, qui commença après la Contre-Réforme, mit de plus en plus l'accent sur l'intellect, la raison et la logique, en se développant. Au milieu du 18ème siècle, cette tendance produisit le Rationalisme. Le Rationalisme considérait toutes les valeurs spirituelles comme ses objets et se mit à les réévaluer du point de vue de la «raison». La logique inorganique est la faculté que les hommes ont toujours utilisée pour résoudre des problèmes de mathématique, d'ingénierie, de transport, de physique ou dans d'autres situations concrètes. Leur insistance au sujet de l'identité et du rejet de la contradiction est praticable dans l'activité matérielle. Ils fournissent aussi une satisfaction intellectuelle en matière de pensée purement abstraite, comme les mathématiques et la logique, mais si elles sont poursuivies suffisamment loin elles se transforment en simples techniques, en simples hypothèses dont la seule justification est empirique. La fin du Rationalisme est le Pragmatisme, le suicide de la Raison. Cette adaptation de la raison aux problèmes matériels provoque la transformation de tous les problèmes en problèmes mécaniques lorsqu'ils sont examinés à la «lumière de la raison», sans aucun ajout mystique de pensée ou de tendance diverse. Descartes voyait les animaux comme des automates, et environ une génération plus tard, l'homme lui-même fut rationalisé en automate -- ou, ce qui revient au même, en animal. Les organismes deviennent des problèmes de chimie et de physique, et les organismes supra-personnels n'existèrent simplement plus, car ils ne sont pas sensibles à la raison, n'étant ni visibles ni mesurables. Newton fit régenter l'Univers et les étoiles par une force régulatrice non-spirituelle; le siècle suivant enleva à l'homme son esprit, son histoire et ses affaires. La raison déteste l'inexplicable, le mystérieux, le clair-obscur. Dans un problème pratique de machinerie ou de construction de bateau, on doit sentir que tous les facteurs sont connus et contrôlés. Il ne doit rien y avoir d'imprévisible ou hors de contrôle. Le Rationalisme, qui est le sentiment que tout est soumis à la Raison et complètement explicable par elle, rejette par conséquent tout ce qui n'est pas visible et calculable. Si une chose ne peut réellement pas être calculée, la Raison dit simplement que les facteurs sont si nombreux et si compliqués que sur un plan purement pratique ils rendent le calcul impraticable, mais ne le rendent pas théoriquement impossible. Ainsi la Raison a aussi sa Volonté-de-puissance: tout ce qui ne se soumet pas est déclaré récalcitrant, ou son existence est simplement niée. Lorsqu'il tourna son regard vers l'Histoire, le Rationalisme vit la tendance toute entière comme évoluant vers la Raison. L'homme avait «émergé» pendant tous ces millénaires, il progressait de la barbarie et du fanatisme jusqu'à la lumière, de la «superstition» à la «science», de la violence à la «raison», du dogme à l'esprit critique, de l'obscurité à la lumière. Plus de choses invisibles, plus d'esprit, plus d'âme, plus de Dieu, plus d'Eglise ni d'Etat. Les deux pôles de la pensée sont «l'individu» et «l'humanité». Tout ce qui les sépare est «irrationnel». Cette dénonciation des choses comme étant irrationnelles est en fait correcte. Le Rationalisme doit tout mécaniser, et tout ce qui ne peut pas être mécanisé est nécessairement irrationnel. Ainsi la totalité de l'Histoire devient irrationnelle: ses chroniques, ses processus, sa force secrète, le Destin. Le Rationalisme lui-même, étant un sous-produit d'un certain stade de développement d'une Haute Culture, est également irrationnel. Pourquoi le Rationalisme connaît une phrase spirituelle, pourquoi il exerce sa brève domination, pourquoi il se transforme une fois de plus en une religion -- ces questions sont historiques, donc irrationnelles. Le Libéralisme est le Rationalisme dans la politique. Il rejette l'Etat en tant qu'organisme, et ne peut le voir que comme le résultat d'un contrat entre des individus. Le but de la Vie n'a rien à faire des Etats, car ils n'ont pas d'existence indépendante. Ainsi le «bonheur» de «l'individu» devient le but de la Vie. Bentham traduisit cela aussi grossièrement qu'il le pouvait en lui donnant le sens collectif du «plus grand bonheur du plus grand nombre». Si les animaux en troupeau pouvaient parler, ils utiliseraient ce slogan contre les loups. Pour la plupart des humains, qui sont le simple matériel de l'Histoire, et non ses acteurs, «bonheur» signifie bien-être économique. La Raison est quantitative, pas qualitative, et transforme donc l'homme moyen en «Homme». L'«Homme» est une chose de nourriture, de vêtement, d'abri, de vie sociale et familiale, et de loisirs. La politique demande quelquefois de sacrifier sa vie pour des choses invisibles. Cela est contre le «bonheur», et ne doit pas exister. L'économie, cependant, n'est pas contre le «bonheur», mais se développe presque en même temps que lui. La Religion et l'Eglise souhaitent interpréter la Vie entière sur la base de choses invisibles, et militent donc contre le «bonheur». L'éthique sociale, d'un autre coté, assure l'ordre économique, donc favorise le «bonheur». Ici le Libéralisme trouve les deux pôles de sa pensée: l'économie et l'éthique. Ils correspondent à l'individu et à l'humanité. L'éthique est bien sûr purement sociale, matérialiste; si l'éthique plus ancienne est conservée, son ancien fondement métaphysique est oublié, et il est promulgué comme un impératif social, et non religieux. L'éthique est nécessaire pour maintenir l'ordre nécessaire comme cadre de l'activité économique. A l'intérieur de ce cadre, cependant, «l'individu» doit être «libre». Voilà le grand cri du Libéralisme, «liberté». L'homme est seulement lui-même, et il n'est lié à rien sauf par son choix. Donc la «société» est une «libre» association d'hommes et de groupes. L'Etat, cependant, est non-liberté, contrainte, violence. L'Eglise est non-liberté spirituelle. Toutes les choses du domaine politique furent transmutées par le Libéralisme. La guerre fut transformée soit en compétition, vue sous l'angle économique, soit en différence idéologique, vue sous l'angle éthique. A la place de l'alternance rythmique et mystique de la guerre et de la paix, il voit seulement la concurrence perpétuelle de la compétition ou du contraste idéologique, qui en aucun cas ne devient violent ou sanglant. L'Etat devient une société ou une humanité sur le plan éthique, un système de production et de commerce sur le plan économique. La volonté d'atteindre un but politique se transforme en fabrication d'un programme «d'idéaux sociaux» sur le plan éthique, de calcul sur le plan économique. Le pouvoir devient de la propagande, sur le plan éthique, et de la régulation, sur le plan économique. La plus pure expression de la doctrine du Libéralisme fut probablement celle de Benjamin Constant. En 1814 il poussa en avant ses idées de «progrès» de «l'homme». Il regardait l'époque des Lumières au 18ème siècle avec sa tournure individualiste-humanitaire, comme un simple préliminaire à la vraie libération, celle du 19ème siècle. L'économie, l'industrialisme, et la technique représentaient les moyens de la «liberté». Le Rationalisme était l'allié naturel de cette tendance. La Féodalité, la Réaction, la Guerre, la Violence, l'Etat, la Politique, l'Autorité -- tous étaient vaincus par la nouvelle idée, supplantés par la Raison, l'Economie, la Liberté, le Progrès et le Parlementarisme. La Guerre, étant violente et brutale, était déraisonnable, et est remplacée par le Commerce, qui est intelligent et civilisé. La Guerre est condamnée à tous points de vue: économiquement elle est une perte même pour le vainqueur. Les nouvelles techniques de guerre -- l'artillerie -- rendaient obsolètes l'héroïsme personnel insensé, et donc le charme et la gloire de la guerre disparaissaient avec son inutilité économique. Dans les temps anciens, les peuples guerriers avaient subjugué les peuples marchands, mais plus maintenant. A présent les peuples marchands devenaient les maîtres de la Terre. Un moment de réflexion montre que le Libéralisme est entièrement négatif. Il n'est pas une force formatrice, mais toujours et seulement une force désintégratrice. Il souhaite déposer les autorités jumelles de l'Eglise et de l'Etat, leur substituant la liberté économique et l'éthique sociale. Il se trouve que les réalités organiques ne permettent que deux possibilités: l'organisme doit être fidèle à lui-même, ou il devient malade et détourné, une proie pour les autres organismes. Donc la polarité naturelle des dirigeants et des dirigés ne peut pas être abolie sans annihiler l'organisme. Le Libéralisme n'obtint jamais un succès complet dans sa lutte contre l'Etat, en dépit du fait qu'il s'engagea dans l'activité politique, au cours du 19ème siècle, en s'alliant avec toutes sortes d'autres forces désintégratrices de l'Etat. Ainsi il y avait les Nationaux-Libéraux, les Sociaux-Libéraux, les Libres Conservateurs, les Libéraux-Catholiques. Ils s'allièrent donc avec la démocratie, qui n'est pas libérale, mais irrésistiblement autoritaire dans le succès. Ils sympathisèrent avec les Anarchistes lorsque les forces de l'Autorité cherchèrent à se défendre contre eux. Au 20ème siècle, le Libéralisme se joignit au Bolchevisme en Espagne, et les Libéraux européens et américains sympathisèrent avec les Bolcheviks russes. Le Libéralisme peut être défini seulement négativement. Il est une simple critique, pas une idée vivante. Son grand mot «liberté» est un négatif -- il signifie en fait, libéré de l'autorité, c'est-à-dire désintégration de l'organisme. Dans ses derniers stades il produit l'atomisation sociale dans laquelle non seulement l'autorité de l'Etat est combattue, mais même l'autorité de la société et de la famille. Le divorce obtient le même rang que le mariage, les enfants le même rang que les parents. Cette pensée constamment négative conduisit des activistes politiques comme Lorenz V. Stein et Ferdinand Lassalle à désespérer de lui en tant que véhicule politique. Ses attitudes étaient toujours contradictoires, il recherchait toujours un compromis. Il cherchait toujours à «équilibrer» la démocratie et la monarchie, les patrons et les travailleurs, l'Etat et la Société, le législatif et le judiciaire. Pendant une crise, le Libéralisme en tant que tel était introuvable. Les Libéraux se retrouvaient dans un camp ou dans un autre lors d'un affrontement révolutionnaire, selon la consistance de leur Libéralisme, et son degré d'hostilité à l'autorité. Ainsi le Libéralisme en action était tout aussi politique que tout Etat. Il obéissait à la nécessité organique par ses alliances politiques avec les groupes et les idées non-libéraux. En dépit de sa théorie de l'individualisme, qui bien sûr exclurait la possibilité qu'un homme ou un groupe puisse appeler un autre homme ou un autre groupe à sacrifier ou à risquer sa vie, il soutenait des idées «non-libres» comme la Démocratie, le Socialisme, le Bolchevisme, l'Anarchisme, tous demandant le sacrifice de sa vie. II A partir de son anthropologie de la bonté naturelle de la nature humaine en général, le Rationalisme produisit au 18ème siècle l'Encyclopédisme, la Franc-maçonnerie, la Démocratie, et l'Anarchisme, ainsi que le Libéralisme, chacun avec ses ramifications et ses variantes. Chacun joua son rôle dans l'histoire du 19ème siècle et, du fait du détournement critique de toute la civilisation occidentale entraîné par les premières Guerres Mondiales, même au 20ème siècle, où le Rationalisme est grotesquement déplacé, et se transforma lentement en Irrationalisme. Le corps du Libéralisme n'était même pas enterré au milieu du 20ème siècle. Par conséquent, il est nécessaire même aujourd'hui de diagnostiquer la grave maladie de la Civilisation Occidentale comme étant le Libéralisme, compliqué d'un empoisonnement étranger. Du fait que le Libéralisme voit la plupart des hommes comme harmonieux, ou bons, il s'ensuit qu'ils devraient être autorisés à faire ce qu'ils veulent. Comme il n'y a pas d'unité supérieure à laquelle ils sont tous liés, et dont la vie supra-personnelle domine les vies des individus, chaque champ de l'activité humaine ne sert que lui-même -- aussi longtemps qu'il ne souhaite pas devenir autoritaire, et reste dans le cadre de la «société». Ainsi l'Art devient «l'Art pour l'amour de l'Art», l'art pour l'art. Tous les domaines de la pensée et de l'action deviennent également autonomes. La religion devient une simple discipline sociale, car être plus signifierait assumer l'autorité. La science, la philosophie, l'éducation, tous sont également des mondes en eux-mêmes. Aucun n'est le sujet de quelque chose de supérieur. La littérature et la technique sont dotées de la même autonomie. La fonction de l'Etat est simplement de les protéger par des brevets et des copyrights. Mais par-dessus tout -- l'économie et la loi sont indépendantes de l'autorité organique, c'est-à-dire de la politique. Les lecteurs du 21ème siècle trouveront difficile à croire qu'autrefois l'idée prévalait que chaque personne devait être libre de faire comme ça lui plaisait en matière économique, même si son activité personnelle impliquait la famine de centaines de milliers de gens, la dévastation complète de zones forestières et minérales, et l'affaiblissement de la puissance de l'organisme; qu'il était tout-à-fait permis pour un tel individu de s'élever au-dessus de l'autorité publique affaiblie, et de dominer par des moyens privés les pensées intimes de populations entières par son contrôle de la presse, de la radio et du cinéma. Ils trouveront encore plus difficile de comprendre comment une telle personne pouvait s'adresser à la loi pour appuyer sa volonté destructrice. Ainsi un usurier pouvait, même au milieu du 20ème siècle, invoquer avec succès l'assistance de la loi pour déposséder un certain nombre de paysans et de fermiers. Il est difficile d'imaginer comment n'importe quel individu pouvait ainsi affaiblir l'organisme politique, plus qu'en transformant le sol en poussière, selon la phrase du grand Freiherr von Stein. Mais cela était la conséquence inévitable de l'idée de l'indépendance de l'économie et de la loi par rapport à l'autorité politique. Il n'existe rien de supérieur, pas d'Etat; il y a seulement les individus s'affrontant les uns les autres. Il est donc naturel que les individus les plus astucieux économiquement accumulent la plus grande partie de la richesse mobile dans leurs mains. Cependant, s'ils sont de vrais Libéraux, ils ne désirent pas l'autorité en plus de cette richesse, car l'autorité comporte deux aspects: le pouvoir, et la responsabilité. L'individualisme, psychologiquement parlant, est de l'égoïsme. «Bonheur» = égoïsme. Rousseau, le grand-père du Libéralisme, était un vrai individualiste, et abandonna ses cinq enfants à l'Assistance publique. La loi, étant un domaine de la pensée et de l'effort humains, possède autant d'indépendance et autant de dépendance que tout autre domaine. A l'intérieur du cadre organique, elle est libre de penser et d'organiser son matériel. Mais comme d'autres formes de pensée, elle peut être enrôlée au service d'idées extérieures. Ainsi la loi, originellement un moyen de codifier et de maintenir la paix intérieure de l'organisme en conservant l'ordre et en empêchant les disputes privées de s'aggraver, fut transmuée par la pensée libérale en un moyen de maintenir un désordre interne, et de permettre aux individus économiquement forts de liquider les faibles. Cela fut appelé «le règne de la loi», «l'Etat de droit», «l'indépendance de la Justice». L'idée de faire intervenir la loi pour rendre sacro-saint un certain genre d'affaires n'était pas une idée originale du Libéralisme. Déjà à l'époque de Hobbes, d'autres groupes l'essayaient, mais l'esprit incorruptible de Hobbes déclara avec la plus grande clarté que le règne de la loi signifie le règne de ceux qui déterminent et administrent la loi, que le règne d'un «ordre supérieur» est une phrase vide, qui trouve un sens seulement par le règne concret de certains hommes et de certains groupes sur un ordre inférieur. C'était de la pensée politique, qui est dirigée vers la répartition et le mouvement du pouvoir. C'est aussi de la politique d'exposer l'hypocrisie, l'immoralité et le cynisme de l'usurier qui demande l'appui de la loi, ce qui signifie richesse pour lui et pauvreté pour des millions d'autres, et tout cela au nom de quelque chose de supérieur, quelque chose ayant une validité supra-humaine. Lorsque l'Autorité ressurgit une fois de plus contre les forces du Rationalisme et de l'Economie, elle commence immédiatement par montrer que le complexe d'idées transcendantales dont s'est équipé le Libéralisme est aussi valide que le Légitimisme de l'ère de la Monarchie Absolue, et pas plus. Les Monarques étaient les plus puissants protagonistes du Légitimisme, les financiers du Libéralisme. Mais le monarque était lié à l'organisme par toute son existence, il était responsable organiquement même quand il n'était pas responsable de fait. Ainsi Louis XVI et Charles 1er [d'Angleterre]. D'innombrables autres monarques et souverains absolus avaient dû s'enfuir à cause de leur responsabilité symbolique. Mais le financier a seulement le pouvoir, pas de responsabilité, même pas symbolique, car le plus souvent son nom n'est pas publiquement connu. L'Histoire, le Destin, la continuité organique, la Renommée, tous exercent une puissante influence sur un souverain politique absolu, et de plus sa position le place entièrement en-dehors de la sphère de la basse corruption. Le financier, cependant, est une personne privée, anonyme, purement économique, irresponsable. Il ne peut en rien être altruiste; son existence même est l'apothéose de l'égoïsme. Il ne pense pas à l'Histoire, à la Renommée, au progrès de l'organisme, au Destin, et de plus il est éminemment corruptible par des moyens vils, car son désir dominant est celui de l'argent et toujours plus d'argent. Dans sa lutte contre l'Autorité le Libéralisme financier élabora une théorie selon laquelle le pouvoir corrompt les hommes. C'est pourtant la vaste fortune anonyme qui corrompt, car il n'y a aucune limitation supra-personnelle au-dessus d'elle, comme celle qui met le véritable homme d'Etat complètement au service de l'organisme politique, et le place au-dessus de la corruption. Ce fut précisément dans les domaines de l'économie et de la loi que la doctrine libérale eut les effets les plus destructeurs sur la santé de la Civilisation Occidentale. Il importait peu que l'esthétique devienne indépendante, car la seule forme d'art qui avait encore un avenir en Occident, la Musique Occidentale, ne prêtait pas attention aux théories et poursuivait sa grande course créatrice jusqu'à son terme avec Wagner et ses épigones. Baudelaire est le grand symbole de l'art pour l'art: la maladie comme beauté. Baudelaire est ainsi le Libéralisme dans la littérature, la maladie comme principe de vie, la crise comme santé, l'esprit morbide comme vie spirituelle, la désintégration comme but. L'homme comme un individualiste, un atome sans connexions, la conception libérale de la personnalité. Ce fut dans les domaines de l'action plutôt que de la pensée que les dommages furent les plus grands. Permettre à l'initiative, pour les questions économiques et techniques, de rester aux individus, soumis à un faible contrôle politique, aboutit à la création d'un groupe d'individus dont les volontés personnelles étaient plus importantes que le destin collectif de l'organisme et des millions de gens de la population. La loi qui servait cet ordre de choses avait complètement divorcé d'avec la moralité et l'honneur. Pour désintégrer l'organisme sur le plan spirituel, la moralité qui était reconnue fut séparée de la métaphysique et de la religion et reliée seulement à la «société». La loi pénale reflétait le Libéralisme financier en punissant les crimes de violence et de passion, mais pas des choses telles que détruire les ressources nationales, gaspiller des millions sans nécessité, ou l'usure à une échelle nationale. L'indépendance de la sphère économique était un article de foi du Libéralisme. Ce n'était pas sujet à discussion. Cela évolua même en abstraction nommée «l'homo economicus», dont les actions pouvaient être prévues comme si l'économie était un vacuum. La gain économique était sa seule motivation, l'avidité seule l'aiguillonnait. La technique de succès était de se concentrer sur son propre gain et d'ignorer tout le reste. Cet «homo economicus» était pourtant l'homme normal pour les Libéraux. Il était l'unité de base de leur image du monde. «L'Humanité» était la somme totale de ces grains de sable économiques. III Le type d'esprit qui croit à la «bonté» essentielle de la nature humaine culmina dans le Libéralisme. Mais il existe une autre anthropologie politique, qui reconnaît que l'homme est disharmonieux, problématique, dual, dangereux. C'est la sagesse générale de l'humanité, et elle se reflète dans le nombre de gardes, de clôtures, de coffres-forts, de serrures, de prisons et de policiers. Chaque catastrophe, incendie, tremblement de terre, éruption volcanique, inondation, suscite des pillages. Même une grève de la police dans une ville américaine fut le signal d'un pillage des magasins par les êtres humains respectables et bons. Donc ce type de pensée part des faits. Cela est la pensée politique en général, en opposition avec la simple pensée sur la politique, la rationalisation. Même la vague de Rationalisme ne submergea pas cette sorte de pensée. Les penseurs politiques diffèrent grandement en créativité et en profondeur, mais ils s'accordent à dire que les faits sont normatifs. Le mot même de théorie a été déconsidéré par les intellectuels et les Libéraux qui l'utilisent comme marotte pour décrire comment ils voudraient que les choses soient. A l'origine, la théorie était l'explication des faits. Pour un intellectuel qui se livre à la politique, une théorie est un but; pour un véritable homme politique, sa théorie est une limite. Une théorie politique cherche à trouver dans l'histoire les limites du politiquement possible. Ces limites ne peuvent pas être trouvées dans le domaine de la Raison. L'Ere de la Raison est née dans un bain de sang, et passera de mode dans un bain de sang encore plus grand. Avec sa doctrine opposée à la guerre, à la politique, et à la violence, elle a présidé aux plus grandes guerres et révolutions depuis 5 000 ans, et elle introduisit l'Ere de la Politique Absolue. Avec son Evangile de la Fraternité de l'Homme, elle apporta sur une grande échelle la famine, l'humiliation, la torture et l'extermination dans l'Histoire, contre des populations à l'intérieur de la Civilisation Occidentale, après les deux premières Guerres Mondiales. En mettant hors la loi la pensée politique, et en transformant la guerre en un combat moral au lieu d'un combat pour la puissance, elle jeta dans la poussière la chevalerie et l'honneur d'un millénaire. La conclusion irrésistible est que la Raison devint aussi politique lorsqu'elle entra dans la politique, même si elle utilisait son propre vocabulaire. Quand la Raison dépouillait un ennemi vaincu d'un territoire, après une guerre, elle appelait cela une «désannexion». Le document établissant la nouvelle situation était appelé un «Traité», même s'il avait été imposé par un blocus alimentaire. L'ennemi politique vaincu devait admettre dans le «Traité» qu'il était «coupable» [du déclenchement] de la guerre, qu'il est moralement indigne de posséder des colonies, que seuls ses soldats avaient commis des «crimes de guerre». Mais quel que soit le déguisement moral, quel que soit le vocabulaire idéologique, c'est seulement de la politique, et l'Ere de la Politique Absolue en revient une fois de plus au type de pensée politique qui part des faits, qui reconnaît la puissance et la volonté de puissance des hommes et des organismes supérieurs comme des faits, et trouve toute tentative de décrire la politique en termes de morale aussi grotesque que cela le serait de décrire la chimie en termes de théologie. Il existe toute une tradition de pensée politique dans la Culture Occidentale, dont quelques-uns des principaux représentants sont Machiavel, Hobbes, Leibnitz, Bossuet, Fichte, de Maistre, Donoso Cortes, Hippolyte Taine, Hegel, Carlyle. Alors que Herbert Spencer décrivait l'histoire comme un «progrès» allant de l'organisation militaro-féodale jusqu'à l'organisation commerciale-industrielle, Carlyle montrait à l'Angleterre l'esprit prussien du Socialisme Ethique, dont la supériorité interne exercerait sur toute la Civilisation Occidentale, pendant l'Ere Politique à venir, une transformation aussi fondamentale que l'avait fait le Capitalisme pendant l'Ere Economique. C'était une pensée politique créatrice, mais elle ne fut malheureusement pas comprise, et l'ignorance qui en résulta permit des influences déviatrices, qui jetèrent l'Angleterre dans deux Guerres Mondiales insensées dont elle émergea en ayant presque tout perdu. Hegel postula un développement de l'humanité en trois phases, depuis la communauté naturelle, jusqu'à la communauté bourgeoise, puis à l'Etat. Sa théorie de l'Etat est entièrement organique, et sa définition du bourgeois est très appropriée pour le 20ème siècle. Pour lui le bourgeois est l'homme qui ne souhaite pas quitter la sphère de la sécurité politique interne, qui s'établit lui-même, avec sa propriété privée sanctifiée, comme un individu contre l'ensemble, qui trouve un substitut à sa nullité politique dans les fruits de la paix et de ses biens et une parfaite sécurité pour en jouir, et qui souhaite donc être dispensé du courage et rester à l'abri de la possibilité d'une mort violente. Avec ces mots, il décrivit le véritable Libéral. Les penseurs politiques mentionnés ne jouissent pas de la popularité auprès des grandes masses humaines. Aussi longtemps que les choses vont bien, la plupart des gens ne souhaitent pas entendre parler de lutte pour la puissance, de violence, de guerres, ou de théories les concernant. Ainsi, aux 18ème et 19ème siècles se développa l'état d'esprit selon lequel les penseurs politiques -- et Machiavel fut la première victime -- étaient des hommes méchants, avec un mauvais atavisme, assoiffés de sang. La simple affirmation que les guerres continueraient toujours était suffisante pour déconsidérer l'auteur comme une personne désirant que les guerres continuent. Attirer l'attention sur le vaste et impersonnel rythme de la guerre et de la paix révélait un esprit malade avec une déficience morale et une tare émotionnelle. Décrire les faits était considéré comme les souhaiter et les créer. Aussi tard qu'au 20ème siècle, quiconque soulignait la nullité politique de la «Société des Nations» était un prophète du désespoir. Le Rationalisme est anti-historique; la pensée politique est de l'histoire appliquée. Pendant la paix il est impopulaire de mentionner la guerre, pendant la guerre il est impopulaire de mentionner la paix. La théorie qui devient la plus rapidement populaire est celle qui fait l'éloge des choses existantes et de la tendance qu'elles sont supposées illustrer, comme étant clairement le meilleur ordre et ayant été préparé par toute l'histoire antérieure. Hegel était donc anathémisé par les intellectuels à cause de son orientation pro-étatique, qui faisait de lui un «réactionnaire», et aussi parce qu'il refusait de se joindre à la foule révolutionnaire. Comme la plupart des gens souhaitent entendre seulement des discours soporifiques sur la politique, et non pas des appels à l'action, et comme en régime démocratique ce que la plupart des gens souhaitent entendre est important pour la technique politique, les politiciens démocrates développèrent au 19ème siècle toute une dialectique de la politique des partis. L'idée était d'examiner le domaine de l'action d'un point de vue «désintéressé», moral, ou économique, et de trouver que l'adversaire était immoral, non-scientifique, non-économique -- bref il était politique. C'était la chose diabolique qui devait être combattue. Le propre point de vue de l'observateur était entièrement «non-politique». Politique était un mot péjoratif pendant l'Ere Economique. Curieusement cependant, dans certaines situations, habituellement celles impliquant des relations avec l'étranger, «non-politique» pouvait aussi être un terme péjoratif, signifiant qu'un homme ainsi décrit manquait d'habileté dans les négociations. Le politicien devait aussi feindre une répugnance à accepter un poste. Finalement une manifestation de «volonté populaire» soigneusement préparée brisait sa répugnance, et il consentait à «servir». Cela était décrit comme du machiavélisme, mais évidemment Machiavel était un penseur politique, et non un adepte du camouflage. Un livre écrit par un politicien ne se lit pas comme Le Prince, mais fait l'éloge de l'espèce humaine entière, à l'exception de certaines personnes perverses les adversaires de l'auteur. En réalité le livre de Machiavel a une tonalité défensive, justifiant politiquement la conduite de certains hommes d'Etat en donnant des exemples tirés des invasions étrangères en Italie. Pendant le siècle de Machiavel, l'Italie fut envahie à plusieurs reprises par les Français, les Allemands, les Espagnols et les Turcs. Lorsque les armées de la Révolution Française occupèrent la Prusse, et associèrent les sentiments humanitaires des Droits de l'Homme avec la brutalité et le pillage à grande échelle, Hegel et Fichte restaurèrent une fois de plus Machiavel en tant que penseur. Il représentait un moyen de défense contre un ennemi armé d'une idéologie humanitaire. Machiavel montrait le véritable rôle joué par les sentiments verbaux dans la politique. On peut dire qu'il y a trois attitudes possibles envers le comportement humain, sur la question de l'évaluation de ses motivations: la sentimentale, la réaliste, et la cynique. La sentimentale attribue une bonne motivation à tout le monde, la cynique une mauvaise motivation, et la réaliste recherche simplement les faits. Lorsqu'un sentimental, par exemple un Libéral, entre en politique, il devient par force un hypocrite. L'exposition définitive de cette hypocrisie crée le cynisme. Une partie de la maladie spirituelle qui suivit la Première Guerre Mondiale fut une vague de cynisme qui surgit de l'hypocrisie manifeste, révoltante et incroyable des petits hommes qui présidaient aux affaires à cette époque. Cependant Machiavel avait un esprit incorruptible et n'écrivait pas d'une manière cynique. Il cherchait à dépeindre l'anatomie de la politique avec ses problèmes et ses tensions particuliers, intérieurs et extérieurs. Pour la fantastique maladie mentale du Rationalisme, des faits désagréables sont des choses regrettables, et en parler c'est les créer. Un politicien minable du type libéral cherchait même à empêcher de parler de la 3ème Guerre Mondiale, après la Seconde. Le Libéralisme est, en un mot, de la faiblesse. Il désire que chaque jour soit un anniversaire, la Vie une longue fête. L'inexorable mouvement du Temps, le Destin, l'Histoire, la cruauté de l'accomplissement, la dureté, l'héroïsme, le sacrifice, les idées supra-personnelles -- voilà l'ennemi. Le Libéralisme est une évasion, depuis la dureté jusqu'à la douceur, de la masculinité à la féminité, de l'Histoire au troupeau en train de brouter, du Destin au Bonheur. Nietzsche, dans son dernier et plus grand ouvrage, désigna le 18ème siècle comme le siècle du féminisme, et mentionna immédiatement Rousseau comme le guide de l'évasion de masse d'en-dehors de la Réalité. Le féminisme lui-même -- qu'est-ce d'autre, à part un moyen de féminiser l'homme? S'il fait ressembler les femmes à des hommes, il le fait seulement en transformant d'abord l'homme en une créature dont la seule préoccupation est son économie personnelle et sa relation avec la «société», c'est-à-dire une femme. La «société» est l'élément de la féminité, elle est statique et formelle, ses conflits sont purement personnels, et sont émancipés de la possibilité de l'héroïsme et de la violence. Conversation, non action; formalité, non actes. Combien est différente l'idée du rang utilisée dans les relations sociales, lorsqu'elle est appliquée sur un champ de bataille! Sur le champ de bataille, il est chargé de destin; dans un salon il est vaniteux et pompeux. Une guerre est menée pour la puissance; les conflits dans la société sont inspirés par la vanité et la jalousie féminines, pour montrer que quelqu'un est «meilleur» que quelqu'un d'autre.
Francis Parker Yockey, Imperium, pp. 208-223. Première édition en 1948; deuxième édition: Costa Mesa, CA : Noontide Press,1962. |