Les fausses «Conversations avec Hitler» de Rauschning : une mise au pointMark Weber |
L'une des sources d'information
les plus largement citées à propos de la personnalité
et des intentions secrètes de Hitler est le prétendu mémoire
de Hermann Rauschning, le président national-socialiste du Sénat
de Dantzig en 1933-34, qui fut chassé du mouvement de Hitler peu
de temps après, et qui commença ensuite une nouvelle carrière
d'anti-nazi professionnel.
Dans le livre connu en allemand sous le titre de Conversations avec Hitler (Gespräche mit Hitler) et publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1940 sous le titre de The Voice of Destruction (La voix de la destruction) [le titre de l'édition française est Hitler m'a dit, Paris 1939, NDT], Rauschning présente page après page ce qui est censé être les vues les plus intimes de Hitler et ses plans pour l'avenir, soi-disant basés sur des douzaines de conversations privées entre 1932 et 1934. Après la guerre le mémoire fut présenté par les Alliés comme pièce à conviction USSR-378 au principal procès de «crimes de guerres» de Nuremberg. Parmi les citations accablantes attribuées à Hitler par Rauschning figurent ces affirmations mémorables: Nous devons être brutaux. Nous devons le redevenir avec une conscience tranquille. C'est seulement de cette manière que nous pourrons extirper la sentimentalité de notre peuple ... Est-ce que je propose d'exterminer des nations entières? Oui, cela aussi je le ferai ... J'ai le droit naturel de détruire des millions d'hommes des races inférieures qui prolifèrent comme de la vermine ... Oui, nous sommes des barbares. Nous voulons être des barbares. C'est un titre honorable.Hitler est aussi supposé avoir confié à Rauschning, un dirigeant provincial presque inconnu, des plans fantastiques pour la création d'un Empire allemand mondial qui inclurait l'Afrique, l'Amérique du Sud, le Mexique, et finalement les Etats-Unis. De nombreux historiens prestigieux, parmi lesquels Léon Poliakov, Gerhard Weinberg, Allan Bullock, Joachim Fest, Nora Levin et Robert Payne, ont utilisé des citations extraites du mémoire de Rauschning dans leurs travaux historiques. Poliakov, un des historiens les plus éminents de l'Holocauste, a spécialement fait la louange de Rauschning pour son «exactitude exceptionnelle», alors que Levin, un autre historien de l'Holocauste les plus lus, l'a appelé «l'un des analystes les plus pénétrants de la période nazie.» Mais tout le monde n'a pas été si crédule. L'historien suisse Wolfgang Hänel a passé cinq ans à enquêter sérieusement sur le livre [de Rauschning] avant d'annoncer ses conclusions lors d'une conférence d'histoire révisionniste en Allemagne de l'Ouest. Il déclara que le célèbre Conversations avec Hitler était une fraude totale. Le livre n'avait aucune valeur, «excepté celle d'un document pour la propagande de guerre des Alliés». Hänel a pu établir de manière concluante que l'affirmation de Rauschning selon laquelle il avait rencontré Hitler «plus d'une centaine de fois» était un mensonge. Les deux hommes se sont rencontrés en réalité seulement quatre fois, et jamais en tête-à-tête. Les paroles attribuées à Hitler, démontra-t-il, ont simplement été inventées ou empruntées à de nombreuses sources différentes, incluant des écrits de Ernst Jünger et de Friedrich Nietzsche. La description de Hitler entendant des voix, se réveillant la nuit avec des hurlements convulsifs et montrant, terrorisé, un angle vide de la chambre en criant «Là, là, dans le coin !» fut empruntée à une petite histoire de l'écrivain français Guy de Maupassant. Le faux mémoire fut conçu dans le but d'inciter l'opinion publique des pays démocratiques, et particulièrement aux Etats-Unis, à la guerre contre l'Allemagne. Le projet sortit du cerveau du journaliste d'origine hongroise Emery Reves, qui dirigea une influente agence de presse et de propagande anti-allemande à Paris pendant les années 30. Hänel a également trouvé la preuve qu'un éminent journaliste britannique nommé Henry Wickham-Steele avait aidé à rédiger le mémoire. Wickham-Steele était le bras droit de Sir Robert Vansittart, peut-être la personnalité anti-allemande la plus véhémente en Grande-Bretagne. Un exposé des découvertes sensationnelles de Hänel a été publié dans l'édition de la fin de 1983 du Journal of Historical Review. Plus récemment, le plus influent des hebdomadaires d'Allemagne de l'Ouest, Die Zeit, et Der Spiegel (7 septembre 1985), ont publié de longs articles sur les fraudes historiques. Der Spiegel conclut que les Conversations avec Hitler de Rauschning étaient «une falsification, une distorsion historique de la première à la dernière page (...) Hänel n'a pas seulement prouvé la falsification, il a aussi montré de quelle manière les impressionnants matériaux furent rapidement compilés et quels composants furent utilisés et fondus ensemble.» Il y a quelques leçons valables à retirer de l'histoire de cette fraude sordide, qui tint pendant plus de quarante ans avant d'être démasquée: cela montre que même les fraudes historiques les plus impudentes peuvent avoir un formidable impact si elles servent des intérêts importants, qu'il est plus facile d'inventer un grand mensonge historique que d'en démasquer un, et finalement que tout le monde devrait être extrêmement prudent, même avec les descriptions venant « de sources autorisées», au sujet de l'époque de Hitler, pleine de charge émotionnelle. Note additionnelle: les lecteurs intéressés par un compte-rendu authentique de la personnalité et des vues privées de Hitler devraient jeter un coup d'oeil au livre passionnant et de haut niveau de Otto Wagener, publié en août 1985 par Yale University Press sous le titre: Hitler, Memoirs of a Confident. Wagener fut le premier Chef d'Etat-major des SA («Sections d'Assaut») et Directeur du Département d'Economie politique du Parti national-socialiste. Il passa des centaines d'heures avec Hitler entre 1929 et 1932, et souvent en tête-à-tête.
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