La vie et la mort d'Alfred RosenbergPeter Peel |
Alfred Rosenberg était né
le 12 janvier 1893, et fut pendu à Nuremberg à 1h 49 du matin
le 16 octobre 1946. Il fut le quatrième des dix hommes sur lesquels
le sergent-chef John C. Woods accomplit son horrible tâche de bourreau
durant cette froide et sombre nuit. [Image: Alfred Rosenberg.]
Adolf Hitler était mort de sa propre main le 30 avril 1945, alors que l'armée russe se rapprochait inexorablement de la dernière redoute du bunker de la Chancellerie. Captif des Russes, il n'aurait probablement même pas eu droit à un procès -- même à un procès comme Nuremberg. Comme le sultan Bayazid aux mains de Timour, ou Emelian Pougatchev à la merci du monarque éclairé, la Grande Catherine, Hitler aurait probablement fini dans une cage de fer suspendue aux murs du Kremlin, et réduit, sans doute, à l'état de légume stupide par les inquisiteurs qui avaient si bien appris leur métier dans les cellules de la Loubianka. Et la mode dominante de l'époque était telle, même dans les démocraties occidentales, qu'il est douteux que même quelques voix se seraient élevées pour protester. Heinrich Himmler aussi s'était empoisonné, et le Dr. Paul Josef Goebbels, sa femme et leurs six enfants avaient péri de la même manière le jour suivant la mort d'Hitler et Eva Braun. Martin Bormann avait disparu. Il fut néanmoins condamné à mort par contumace -- une procédure inconnue dans la jurisprudence britannique ou américaine -- à Nuremberg. Il semble le plus probable aujourd'hui que Bormann a péri dans les rues de Berlin en tentant de s'échapper et que son corps fut simplement mis en pièces par un obus quelconque. Ensuite il y avait le Reichsmarschall Hermann Göring, jovial, exubérant, bon vivant, amoureux de l'art, commandant de l'escadron Richthofen pendant la Première guerre mondiale. Göring était probablement la figure la plus charismatique dans la hiérarchie nationale-socialiste après Hitler lui-même. Il fut adjoint du Führer jusqu'aux derniers jours et le Numéro Deux incontesté dans le Reich. A Nuremberg, son courage et son intelligence embarrassèrent fréquemment les esprits plus lourds des accusateurs et à la fin, moins de deux heures avant sa pendaison programmée, il devait échapper au bourreau impatient grâce à une capsule de cyanure qu'il avait réussi à cacher sur lui. Les sentiments de ceux qui échappèrent ainsi à la vengeance des vainqueurs furent sans doute ceux de Brutus à la bataille de Philippes: Tu vois le monde, Volumnius, comme il va.Ainsi, sur les vingt-deux hommes inculpés devant le Tribunal Militaire International à Nuremberg, l'un ne fut jamais présent et un autre se suicida avant que la sentence de mort ne puisse être exécutée. Des vingt restants, trois furent acquittés des accusations portées contre eux, Hjalmar Schacht, Franz von Papen et Hans Fritzsche. Ce n'est pas mon but dans cette brève introduction de discuter des procès de Nuremberg en détail, ni de leur justification publique. A l'époque où ils furent organisés et conduits, je servais encore comme officier dans la Royal Air Force et j'avais passé quelque six ans à combattre les Allemands et les Japonais. Néanmoins, le concept même de juger les dirigeants d'une nation ennemie vaincue pour des crimes qui furent définis rétroactivement devant un tribunal dans lequel l'accusation et le tribunal appartenaient au même parti, où les règles normales d'investigation étaient suspendues à l'avance et où la défense du tu quoque («Vous avez fait la même chose») était interdite, me troubla et me peina. J'avais été élevé dans la croyance à l'impeccable majesté et justice de la loi britannique et, en fait, avec quelque naïveté peut-être, dans sa supériorité sur celle de toutes les autres nations. Cela n'empêcha pas de lire des gros titres dans le journal britannique ayant la plus grande diffusion -- environ 4.000.000 d'exemplaires -- qui plastronnaient: «Nous les jugerons et nous les pendrons». Ni le fait qu'en 1946 peu de gens en Occident avaient des doutes sur le fait que les horribles massacres dans la forêt de Katyn et dans d'autres lieux de quelque 15.000 officiers polonais prisonniers de guerre avaient été perpétrés par l'une des parties qui étaient sur le point de prendre place sur les bancs du Tribunal Militaire International. Beaucoup d'entre nous dans les forces armées savions beaucoup plus que cela. Nous savions, bien que nous n'en parlions pas beaucoup, que les plus horribles atrocités avaient été commises par toutes les parties dans la guerre qui venait de se terminer. Et dans les années qui ont suivi, notre connaissance de cet aspect s'est accrue prodigieusement. Mais je n'étais qu'un officier subalterne, et très jeune. Il y avait beaucoup d'hommes éminents, bien plus importants et bien mieux informés qu'un simple lieutenant aviateur, qui étaient troublés et peinés. Et il est très douteux qu'un seul d'entre eux aurait pu être accusé de sympathie avec l'idéologie du national-socialisme, ou même avec les Allemands en tant que nation. En-dehors d'une longue liste d'intellectuels éminents et d'historiens révisionnistes -- trop longue pour être donnée ici -- il y avait en Angleterre des hommes comme le Révérend William Inge, Doyen de Saint Paul, ou le procureur F.J.P. Veale, dont le livre Advance to Barbarism [Avancée vers la barbarie] est encore l'une des critiques les plus efficaces de la mentalité de Nuremberg. Et aux Etats-Unis, le sénateur Robert A. Taft sacrifia consciemment sa carrière et une bonne chance d'arriver à la Présidence américaine en dénonçant publiquement l'application de lois rétroactives comme répugnante pour toute la tradition de la jurisprudence anglo-saxonne, et pour la lettre et l'esprit de la constitution des Etats-Unis. Le fait que cela était un suicide politique -- et Taft le savait -- donnera matière à réfléchir au lecteur plus jeune qui tentera de comprendre le fanatique esprit de vengeance qui dominait l'époque. Le président John F. Kennedy comprit bien la nature de l'action de Taft, et lui rendit hommage dans son livre Profiles in Courage. Comme tout est différent aujourd'hui! Nous avons appris tant de choses dans les années récentes -- la vérité sur le torpillage du Lusitania pendant la Première guerre mondiale, par exemple; ou la vérité sur la politique des bombardements de terreur de Churchill et de Lindemann et de Harris. Et beaucoup, beaucoup d'autres choses. Mais est-ce vraiment si différent? Les maisons d'éditions, beaucoup d'entre elles, et a fortiori les films et la télévision, nous rappellent presque quotidiennement la thèse d'un diabolisme teutonique particulier. [Au début de 1981 il fut révélé que Churchill avait fait des plans pour répandre du gaz moutarde et des bombes mortelles à l'anthrax sur les centres urbains allemands. Si la guerre ne s'était pas terminée comme elle le fit, ses plans auraient été mis en œuvre, et de vastes zones d'Allemagne seraient encore aujourd'hui inhabitables. Hitler, pourtant, n'envisagea jamais sérieusement l'utilisation des gaz, sauf en représailles à des attaques aux gaz. Une raison, peut-être, est que Hitler avait lui-même été victime des gaz britanniques dans les tranchées de la Première guerre mondiale, NDE.] [Image: Hambourg, 1943 -- victimes civiles des bombardements anglo-américains. Le 27 juillet 1943, un seul raid sur Hambourg, dirigé par le commandant Marshal Harris, surnommé «Bomber Harris», fait quelque 50.000 morts.] Au moment où j'écris, trente-cinq ans ont passé depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Pouvons-nous trouver une analogie historique -- pas trop éloignée -- avec les événements qui ont eu lieu pendant les années qui se sont écoulées? Peut-être cela nous aiderait-il à jauger la vérité ou la fausseté implicite dans le titre du livre de Veale. En 1792, le gouvernement révolutionnaire français commença une guerre d'agression presque continuelle pour les vingt-trois prochaines années contre la plus grande partie de l'Europe. Ses buts étaient doubles: rallier et unir les factions à l'intérieur de la nation, et saisir le territoire et exploiter les ressources de ses voisins. En 1796, la carrière de Napoléon Bonaparte était en plein épanouissement. Pendant dix-neuf ans de plus, les armées napoléoniennes marchèrent et contre-marchèrent à travers toute l'Europe, baignant de sang le sol du continent. La Belgique, la Hollande et une grande partie de l'Italie et de l'Allemagne de l'Ouest furent directement annexées à la France. Les trésors artistiques des peuples conquis furent pillés. Des contributions forcées en argent et en main d'œuvre furent exigées des nations satellites. Des ennemis politiques furent assassinés. Le général Bonaparte devint dictateur de la France par un coup d'état en 1799, et empereur en 1804. Quand, en 1814, Napoléon fut vaincu pour la première fois par l'énorme coalition réunie contre lui («combien de corbeaux étiez-vous contre l'aigle mourant?»), il abdiqua et reçut la souveraineté sur l'île italienne d'Elbe. Il s'évada et revint en France en 1815, leva d'autres armées, et reprit la guerre. Après sa défaite finale à Waterloo, il abdiqua à nouveau et fut envoyé dans l'île atlantique de Sainte-Hélène. En chemin, le navire s'arrêta à Plymouth où les foules anglaises vinrent le voir, pas pour triompher ou pour se moquer, mais pour présenter leurs respects à leur ennemi vaincu. Napoléon passa les six dernières années de sa vie sur Sainte-Hélène, à écrire ses mémoires et à vivre, avec une suite convenable d'assistants et de serviteurs, dans un confort relatif (à part quelques tracasseries mineures infligées par le gouverneur assez malveillant). En 1840, son corps fut ramené en France et magnifiquement enseveli aux Invalides. C'est là qu'il repose, entouré par des peintures murales représentant ses plus grandes victoires, jusqu'à ce jour héros national de la France. Quand la reine Victoria visita Paris, elle alla voir le tombeau de Napoléon, et elle fit agenouiller son jeune fils en hommage. En 1918, l'éthique chevaleresque et aristocratique avait depuis longtemps fait place à celle de l'Homo Vulgaris, de la démocratie triomphante. Et donc on parla beaucoup de pendre le Kaiser. Mais ce n'étaient que des manifestations de mauvaise humeur. Il avait trouvé refuge en Hollande, et aucune pression importante ne fut exercée contre les Hollandais pour qu'ils le livrent. En tous cas, il termina confortablement sa vie comme propriétaire terrien dans son domaine à Doorn. En note finale pour cette partie de notre sujet, on peut remarquer que les termes imposés à la Prusse en 1807 furent bien plus sévères que ceux imposés à la France en 1815; et les termes imposés à l'Allemagne en 1919 furent sauvagement punitifs et «carthaginois» comparés à ceux imposés à la France par l'Allemagne en 1871. Mais c'est seulement en 1945 que les vainqueurs tombèrent finalement au niveau du Livre d'Esther ou de l'histoire de Samuel et Agag. Se pourrait-il que cela fut l'ultime triomphe du christianisme? Que nous avons finalement pris la Bible comme un guide de conduite sérieux? Ou cela fut-il un triomphe de la démocratie comme dans le Livre d'Esther ou dans l'histoire de Samuel et Agag? Pourrait-il s'agir de cela? A Nuremberg, les prévenus furent séparément accusés de deux, trois ou quatre chefs d'inculpation. Douze hommes, incluant Rosenberg, furent accusés des quatre à la fois. Ceux-ci étaient: 1. Conspiration pour préparer la guerre.Richard Harwood (dans Nuremberg and Other War Crimes Trials) fait le commentaire suivant: Les accusations auraient pu être établies par quelque poète ou philosophe, car aucun article spécifique de législation passé par une législature particulière n'était supposé avoir été violé. Pour que quelqu'un soit accusé d'un crime, il faut qu'il ait violé une loi. Aucun pays n'avait ou n'a de loi interdisant de préparer une guerre. Aucun pays non plus n'a de loi interdisant de mener une guerre d'agression. Qui définit cette agression? Quand la Grande-Bretagne et la France envahirent l'Egypte en 1956, leurs dirigeants et leurs généraux ne furent pas arrêtés ni accusés d'avoir mené une guerre d'agression.Harwood n'a en aucune manière épuisé la liste. Des actes individuels du sadisme et de la cruauté les plus horribles furent commis par des soldats alliés contre des Allemands et des Japonais qui s'étaient déjà rendus. Des incidents de viol et de pillage furent la marque de toutes les forces d'occupation alliées dans les premiers jours, mais le viol massif et sans retenue des femmes, jeunes filles et jeunes garçons à Berlin, le pillage et la mise à sac de cette ville par les armées des maréchaux Joukov et Koniev, et le meurtre immédiat de tout civil allemand tentant de protéger les femmes, font apparaître les horreurs de la guerre de Trente Ans comme un exercice de conduite chevaleresque et distinguée. Mais au milieu du jargon hypocrite et de la solennité du procès de Nuremberg, les vainqueurs n'acceptèrent aucune accusation de mauvaise conduite contre eux-mêmes. Alfred Rosenberg fut jugé coupable des quatre chefs d'inculpation et, comme nous l'avons déjà noté, rencontra sa fin sur la potence le matin du 16 octobre 1946. Il laissait une veuve et une petite fille. Qui était cet homme plutôt tranquille et effacé -- et même timide -- avec l'apparence assez affable d'un haut fonctionnaire de la classe supérieure anglaise? Au dire de tous il était, dans sa vie personnelle, un homme doux, plutôt sans humour, incorruptible. Il n'y avait ni cynisme ni pragmatisme dans son dévouement fanatique à l'idéologie nationale-socialiste, mais le fanatisme ne devenait éloquent que dans ses écrits. Il lui manquait la bonne humeur extravertie pour être un bon causeur. Cette introversion n'était certainement pas une caractéristique de la plupart des chefs nazis -- pas même de Hess dont l'effacement semble s'être développé en résultat de son traitement par ses gardiens britanniques après son vol de négociateur de paix en Ecosse en 1941. Rosenberg semble avoir été l'objet d'une bonne quantité de moqueries grossières dans les hautes réceptions, et souvent au motif de son nom qui, en Allemagne, était considéré comme typiquement juif, bien que dans la région balte dont il venait c'était aussi très souvent un nom non-juif. Pourtant Rosenberg demeura toujours totalement loyal et, à part Hitler lui-même, fut le seul membre du parti à rester au premier plan depuis les premiers jours jusqu'à la fin. Mais il n'était pas équipé par formation ou par tempérament pour les coups tordus des affaires pratiques. Les goûts et les intérêts de Rosenberg allaient à la musique classique, à l'architecture, et, par-dessus tout, aux questions littéraires et philosophiques. Parmi les grands philosophes allemands, les œuvres d'Emmanuel Kant et d'Arthur Schopenhauer semblent lui avoir fait l'impression la plus profonde et la plus durable. Mais il était un lecteur vorace. Il lut certainement Ernst Haeckel, probablement le plus célèbre des orientalistes allemands. Il lut une bonne partie de la littérature aryenne de l'Inde ancienne, particulièrement le Rig Veda, et il est évident qu'il avait une bonne connaissance du Zend Avesta, le livre sacré de l'ancienne Perse préislamique. Il s'immergea dans l'histoire classique de la Grèce et de Rome, et particulièrement dans la mythologie classique. Cette étude presque omnivore et autodirigée, et ses expériences personnelles dans la Russie révolutionnaire et l'Allemagne de l'après-guerre, furent les deux piliers sur lesquels il construisit sa vision-du-monde finale et passionnée. Sa vocation, cependant, telle qu'il la voyait et telle qu'il l'accomplit partiellement, était de devenir le gardien de l'idéologie du parti, et l'auteur d'une Grande Œuvre, qui fournirait au national-socialisme une théorie définitive de l'histoire comme fonction de la race. Cette œuvre fut Der Mythus des 20. Jahrhunderts -- Le Mythe du XXe siècle. L'orthodoxie nationale-socialiste ne fut jamais aussi monolithique ni aussi vaste que celle de Marx et Lénine. Il y avait, bien sûr, un accord sur les questions majeures -- que la Juiverie mondiale était l'ennemie irréconciliable de toute civilisation et culture aryenne et particulièrement de l'Allemagne; que les clauses punitives du traité de Versailles étaient intolérables et devaient être rejetées; que tous les Allemands doivent comprendre et sentir leur unité spirituelle en tant que vrai Volk et que les distinctions et les rivalités de classes et de factions doivent disparaître. Mais en-dehors de ces principes généraux, il y avait une large variété d'opinions et de positions philosophiques. Rosenberg était bien conscient de cela et se donna beaucoup de mal dans son Introduction pour souligner que le Mythe était une philosophie personnelle. Il est, par exemple, presque aussi violemment anti-catholique qu'il est antijuif et seulement relativement moins anti-protestant. Il est, en fait, antichrétien. Pourtant, la plupart des membres du parti étaient chrétiens, et l'Allemagne est à moitié catholique. Jésus de Nazareth, pensait-il, était un grand homme dont les enseignements ont été corrompus par un Juif habile, Paul de Tarse. Dans les siècles suivants, l'Eglise catholique avait mis au point une théologie et un cérémonial élaborés qui n'avaient rien en commun avec le Fondateur et qui étaient, en fait, une résurgence de superstitions levantines et étrusques dégradées présentées sous des formes faussement «chrétiennes». Mais la querelle de Rosenberg avec les catholiques n'était pas simplement ni seulement une question de théologie. Il y avait en Allemagne un puissant parti politique catholique, le Zentrum Partei. Même Bismarck, au XIXe siècle, avait vu la nature politique des catholiques en Allemagne comme un danger pour la paix intérieure et l'unification récente de la nation. Il faut se rappeler que le Second Reich qui naquit en janvier 1871 et expira en novembre 1918 ne fut jamais un Etat fortement centralisé. Il contenait quatre royaumes -- la Prusse, la Bavière, le Wurtemberg et la Saxe, cinq grands-duchés, treize duchés, trois villes libres et le Territoire Impérial d'Alsace-Lorraine avait été un rêve que seules trois guerres courtes mais violentes avaient été capables de réaliser. La Bavière, le Wurtemberg et la Rhénanie étaient à prédominance catholique, et des tendances séparatistes menaçaient toujours de renaître en temps de crise, encouragées par la France, et, du moins du point de vue de la Prusse protestante, aggravées par la doctrine récemment proclamée de l'infaillibilité papale qui avait choqué toute l'Europe protestante. L'ultramontanisme qui s'était développé en réaction aux guerres révolutionnaires et napoléoniennes était fondamentalement anti-nationaliste. Il était vu ainsi même dans l'Italie catholique où le conflit entre le nationalisme italien et le Vatican était appelé la «question romaine» et ne fut pas résolu avant le Concordat de Mussolini avec le pape en 1929. Il y avait un fort parti anticlérical en France. Et ainsi, en Prusse la lutte contre le catholicisme politique fut menée par Bismarck sous la bannière du Kulturkampf et des dénommées lois de «mai» ou lois «Falk» en 1873. Les Jésuites furent aussi expulsés du territoire du Reich. Dans les premières années suivant la Première guerre mondiale, il y eut des dangers renouvelés de séparatisme en Bavière catholique et encore plus sérieusement en Rhénanie où le mouvement séparatiste était encouragé par le gouvernement français et les armées françaises d'occupation. C'est à la lumière de ce qui précède que nous devons examiner les attaques de Rosenberg contre l'Eglise catholique -- pas comme une philosophie politique explicite, peut-être, mais plutôt comme une sorte de perception viscérale d'une force irréconciliablement inamicale dans l'organisme national. Avant de dire que tout cela relevait des attitudes «arriérées» de la Mitteleuropa d'il y a soixante ans, les Américains pourraient utilement se souvenir que quand John Kennedy rechercha l'investiture du parti Démocrate, d'éminents politiques américains exprimèrent des doutes concernant l'acceptation d'un catholique comme président par le peuple américain et beaucoup de citoyens ordinaires de confession protestante se demandèrent sérieusement si la Maison Blanche ne risquait pas de devenir une branche du Vatican. Que dire du plus grand ennemi de Rosenberg, le Juif? A certains égards, l'explication est plus simple et à d'autres plus profondément complexe que son hostilité envers les catholiques. Il y avait une certaine quantité d'antisémitisme littéraire et intellectuel en Allemagne et dans l'Autriche des Habsbourg au XIXe siècle, mais c'était à peine plus que ce qui existait aussi dans l'Angleterre contemporaine. En Angleterre, par exemple, Punch, le magazine humoristique populaire, publiait fréquemment des dessins et des vers désobligeant impliquant les Juifs. Lord Salisbury et d'autres Anglais éminents appelaient Disraeli «un Juif sans scrupules». Les gens qui se trouvaient dans des difficultés financières et qui devaient recourir à des prêteurs d'argent disaient avec dépit qu'ils étaient «dans les mains des Juifs». Et le mot «Juif» lui-même était et est utilisé comme un verbe, comme dans l'expression «to jew one down» [«marchander comme un Juif»]. En Russie, le sentiment antijuif était beaucoup plus fort et combinait deux éléments, la religiosité paysanne et la perception politique des mouvements anarchiste, révolutionnaire et terroriste comme ayant une direction à forte prédominance juive. Mais c'est probablement en France que l'animosité contre les Juifs était la plus forte. Les premières années de la Troisième République furent parsemées d'un bon nombre de scandales financiers qui causèrent des pertes douloureuses aux petits investisseurs et des souffrances considérables. Quand un certain nombre de ces scandales furent révélés et que des financiers juifs y apparurent au premier plan, un violent antisémitisme prévalut en France qui atteignit son apogée dans l'affaire Dreyfus. Il faut peut-être aussi mentionner la Pologne, à cette époque rattachée aux domaines du tsar russe, où l'antisémitisme était pandémique et où il persista au moins jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale, après quoi son expression ouverte devint un délit criminel. L'antisémitisme de Rosenberg a peut-être ses racines dans sa jeunesse alors qu'il était un sujet du tsar. Mais c'est sans aucun doute son expérience personnelle et directe de la vie à Moscou à l'époque de la révolution bolchevique qui lui fit la plus grande impression initiale. Il n'y a plus aucun débat véritable parmi les historiens honnêtes sur le fait que la direction des bolcheviks (ainsi que du parti social-révolutionnaire -- qui était un groupe beaucoup plus grand) était à prédominance juive. Même une autorité comme Winston Churchill écrivit pour le Illustrated Sunday Herald (Londres) en février 1920, un article intitulé «Sionisme contre bolchevisme: une lutte pour l'âme du peuple juif», dans lequel il faisait remarquer que les Juifs dominèrent les brefs régimes communistes de Bela Kun en Hongrie et de Kurt Eisner en Bavière non moins que dans la Russie de Lénine. Les lectures extensives de Rosenberg renforcèrent certainement ses observations personnelles. Il avait lu les œuvres de Paul de Lagarde, un professeur de langues orientales à l'Université de Göttingen au XIXe siècle, qui était fortement antisémite. Il avait lu le Français, le comte Arthur de Gobineau, dont le livre, Sur l'inégalité des races humaines, est l'œuvre séminale de la pensée racialiste. Surtout, il avait lu, à l'âge de dix-sept ans, le livre monumental de Houston Stewart Chamberlain, Les fondements du XIXe siècle. Celui-ci est intensément antijuif et anti-catholique. La race aryenne a été la force créative dans toute la civilisation. Les Allemands modernes et les peuples qui leur sont apparentés sont les porteurs actuels de cette force créative et civilisatrice (une vue partagée, entre autres, par Theodore Roosevelt et Cecil Rhodes). L'Europe du Sud est un «chaos des peuples» métissé, et le Juif, par-dessus tout, est l'éternel ennemi des valeurs aryennes et de la culture aryenne. Rosenberg, dans ses mémoires, nous dit que ce livre de Chamberlain «l'enflamma immédiatement». Chamberlain, on peut le remarquer en passant, était le fils d'un amiral britannique et le gendre de Richard Wagner. Mais c'est dans l'Allemagne de l'après-guerre que l'influence finale a dû former la pensée de Rosenberg. Il avait rendu visite à des parents allemands avant la guerre. Jusqu'en 1918, cependant, il avait été étudiant à l'Université de Moscou. Il obtint un diplôme en architecture, un domaine dans lequel il ne revint jamais par la suite. Il avait dû être un étudiant doué, cependant, car ses professeurs lui avaient demandé de rester à l'Université en tant que membre de la faculté. Au lieu de cela, il partit pour l'Allemagne vaincue, humiliée et affamée, en passant apparemment par Paris. La direction des partis de la gauche radicale, les communistes, les sociaux-démocrates, les socialistes indépendants et les spartakistes, était à prédominance juive. Ce sont ces éléments qui avaient promu les grèves désastreuses dans la dernière année de la guerre et qui avaient été largement instrumentaux dans les insurrections et la mutinerie navale qui conduisirent à l'abdication du Kaiser et à l'établissement de la dénommée République de Weimar. La question a été soulevée de savoir si l'Allemagne aurait pu continuer à résister à l'énorme puissance des Alliés, particulièrement après l'effondrement total de ses trois alliés. Mais il fut communément ressenti dans toute l'Allemagne que la défaite totale et l'impuissance complète de l'Allemagne devant les vainqueurs triomphants avaient été précipitées et rendues inévitables par la trahison sur le front intérieur où l'influence juive était le principal facteur et que, sans cela, l'Allemagne aurait pu tenir assez longtemps pour s'assurer une paix négociée plutôt que de se soumettre à un Diktat impitoyable. Ne n'était pas tout. Tant que la Russie tsariste haïe ne fut pas renversée et vaincue, la juiverie inquiète, et particulièrement la juiverie allemande, avait soutenu la cause des empires centraux. Après cela, le soutien juif passa du coté des Alliés. Le Premier Ministre britannique de l'époque de la guerre, David Lloyd George, reconnut plus tard que les négociations de 1916 qui conduisirent l'année suivante à la Déclaration Balfour avaient été entreprises à cause du besoin ressenti [par les Alliés] de gagner l'appui du mouvement sioniste dans le monde. Il existe des indications suggérant fortement que le succès de ce stratagème créa une situation de quid pro quo entre le gouvernement britannique et le puissant mouvement sioniste américain qui, à son tour, exerça une pression irrésistible sur le président Wilson pour provoquer la participation décisive des Etats-Unis dans la guerre. En tous cas, la République de Weimar, qui dura de la fin de 1918 jusqu'au début de 1933, fut politiquement une démocratie modérée. Socialement ce fut une période de liberté extrême, et, en fait, de licence. Berlin finit par être vu par les observateurs traditionalistes et conservateurs comme le «cloaque de l'Europe». Pour d'autres, c'était le refuge de la permissivité totale où tout se passait et où toute passion ou tout vice pouvait être assouvi impunément. Istvan Deak, qui admira la société de Berlin à l'époque, écrivit: Berlin accueillait ceux qui partout ailleurs auraient été sujets au ridicule ou à la persécution. Agents du Komintern. Poètes dadaïstes, peintres expressionnistes, philosophes anarchistes, Sexualwissenschaftler, prophètes végétariens et espérantistes d'une nouvelle humanité. Schnorrer («parasites», artistes de café indolents), courtisans, homosexuels, drogués, danseurs nus et criminels professionnels fleurissaient dans une ville qui était affamée de nouveauté, de sensationnel, d'extrême. De plus, Berlin devenait aussi le centre culturel de l'Europe centrale et orientale.Peter Gay, un autre historien juif bien connu, dans un livre au sous-titre significatif (Weimar Culture: The Outsider as Insider), écrit dans une veine similaire, nous disant que quand nous pensons à Weimar, nous pensons à la modernité dans l'art, la littérature et la pensée; nous pensons à la rébellion des fils contre les pères, des dadaïstes contre l'art, des libertins contre les moralistes vieux jeu; nous pensons à l'Opéra de quatre sous, au Cabinet du Dr. Caligari, à La Montagne magique, au Bauhaus, à Marlène Dietrich... La Weltbühne [La tribune mondiale] était le plus important et influent des journaux littéraires de gauche. Ne pas avoir lu le dernier numéro, d'après Kurt Hiller, était considéré comme fruste. Sur les 68 écrivains dont l'origine religieuse pouvait être établie, 42 se trouvaient être d'ascendance juive, deux étaient des demi-Juifs et seulement 24 étaient des non-Juifs (dont trois étaient mariés à des juives). Deak nous dit: «L'enthousiasme des écrivains de la Weltbühne pour les propositions socialistes révolutionnaires était dû en grande partie à la reconnaissance de leur condition juive inéluctable». Deak nous dit aussi, mais en semblant approuver, que parmi ceux qui dictaient maintenant le goût et la morale publics et qui «corrompaient leurs consommateurs», plus des trois quarts n'étaient pas des natifs, mais venaient d'Autriche, de Hongrie, d'Ukraine et de Pologne. C'étaient les gens que Walter Rathenau, lui-même juif, appelait «une horde asiatique sur les sables du Brandebourg». Le regretté Sir Arthur Bryant, historien respecté et gentleman chrétien conservateur, n'ayant aucune sympathie pour le régime nazi qui suivit la période de Weimar, est en raison de ses qualités et traits une source très fiable quant à la nature de la république de Weimar. Dans son livre, Unfinished Victory, qui fut publié juste avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, il décrit dans un langage vivant et évocateur la qualité étrangère des 200.000 Juifs ou plus qui encombraient Berlin. Beaucoup d'entre eux (dit-il) étaient entrés dans le pays pendant l'agitation d'après-guerre. Ils ne restèrent pas longtemps pauvres. Bryant fait observer que même en novembre 1938, après cinq ans de législation antijuive, les Juifs possédaient encore environ un tiers de tous les biens immobiliers dans le Reich, la plupart acquis pendant la désastreuse inflation de 1923 avec des fonds étrangers obtenus grâce à leurs connections internationales. En 1924, le vicomte D'Abernon, l'ambassadeur britannique, eut une conversation avec Gustav Stresemann, dans lequel ce dernier parla de la haine croissante contre les Juifs. «Les gens du peuple», disait Stresemann, «sont mécontents parce qu'ils trouvent qu'eux-mêmes sont pauvres pendant que les Juifs sont riches, et ils demandent, pourquoi le gouvernement a-t-il permis cela?» Bryant dit que bien que les Juifs formaient seulement 1% de la population, leur contrôle de la richesse nationale et du pouvoir perdit bientôt toute relation avec leur nombre. Dans le Reichstag de 1924, un quart des sociaux-démocrates était juif. Les Juifs contrôlaient 57% du commerce du métal, 22% du commerce des céréales, et 39% du commerce du textile. Plus de 50% des membres de la Chambre de Commerce de Berlin était juifs, ainsi que 1.200 des 1.474 membres de la Bourse. Sur les 29 théâtres réguliers de Berlin, 23 avaient des directeurs juifs. A un moment, dit Bryant (citant un livre antinazi de E. Mowrer, Germany Puts the Clock Back), le monopole juif de la presse était si complet qu'«un coup de téléphone entre trois Juifs [sic] dans les bureaux ministériels pouvait provoquer la suspension de n'importe quel journal dans le pays». La création littéraire, continue Bryant, était presque un monopole juif. En 1931, sur 144 scénarios de films produits, 119 furent écrits par des Juifs et 77 produits par eux. La médecine et le droit suivaient le même modèle; 42% des docteurs de Berlin étaient juifs (1.932) et 48% des avocats. «Chaque année il devenait plus difficile pour un non-Juif de gagner ou de conserver un poste dans une occupation privilégiée». Dans la pièce de Walter Mehring, Le marchand de Berlin, le héros, un immigrant juif accablé par la pauvreté, ... a bientôt toute la ville à ses pieds avec sa merveilleuse adresse et sa liberté vis-à-vis des scrupules moraux bourgeois ... il se moque de tous les symboles les plus chers de la moralité et de la fierté nationale allemandes et les tourne en ridicule. La dépouille et le casque d'acier du soldat ... emportés avec le nettoyage de la rue, sont présentés comme ne valant rien ... comparés au courage prédateur, à l'astuce rapide et au joyeux opportunisme sensuel du petit héros. Pour l'Allemand déshérité, ils représentaient quelque chose de très différent -- de l'amour du pays, un devoir aujourd'hui devenu honteux et devenu un sport de caniveau. Les êtres humains avec leurs histoires longues et diverses ne peuvent pas toujours voir les choses de la même façon.Bryant remarque que les mendiants se déplaçant à cheval sont rarement populaires et que cette espèce particulière était arrogante, vulgaire et méchante. Dans un passage particulièrement émouvant, il parle de ses souvenirs vifs et douloureux des foules d'enfants des deux sexes à moitié affamés qui hantaient les portes des grands hôtels et restaurants pour vendre leur corps aux riches arrivistes. Ensuite viennent dans le livre de Bryant plusieurs pages de descriptions détaillées du contenu des vitrines des boutiques spécialisées dans la pornographie et la littérature de perversion, et de la dégradation morale générale dans la vie quotidienne et dans l'art. Bryant est aussi peiné par le mépris non dissimulé pour le christianisme -- un poète juif (Carl Zuckmayer) comparant un chat miaulant sur le toit la nuit à Jésus à Gethsémani, ou un écrivain juif décrivant le Christ comme un débauché ivre. Le major Francis Yeats-Brown (dans European Jungle) ajoute quelques chiffres à ceux de Bryant, relatifs au pouvoir disproportionné des Juifs dans les professions. Il nous dit qu'à Berlin 1.925 sur 3.450 avocats étaient juifs, et à Francfort 432 sur 659. Quinze banquiers juifs détenaient 718 postes de directeur. A Vienne, 85% des avocats, 70% des dentistes, plus de 50% des physiciens étaient juifs. L'industrie de la cordonnerie était juive à 80%, de même que les journaux; les banques, à 75%; le commerce du vin, à 73%; le cinéma, à 70%; le bois et le papier, à 70%; le commerce de la fourrure, 87%; les boulangeries et les blanchisseries, à 60%. Même le Dr. Chaïm Weizmann, qui visitait l'Allemagne au pire moment de la détresse économique de l'immédiat après-guerre afin de collecter de l'argent pour les immigrants juifs en Palestine, parla en termes peu flatteurs des Juifs en Allemagne. Il dit à l'ambassadeur britannique que les intellectuels juifs en Allemagne étaient très arrogants et agressifs, et tout à fait insupportables. Très significativement, il parlait d'eux comme d'«une race à part, différant beaucoup des races natives». Mais la «race à part» dominait la culture et beaucoup, sinon la plupart, des professions, comme nous l'avons indiqué plus haut. Peter Gay, parlant de l'énorme empire des éditions Ullstein, dit que sa puissance était presque effrayante et que pour un écrivain dénué de revenus, la faveur d'Ullstein signifiait le luxe, et sa défaveur la quasi-famine. Dans le théâtre florissant, même les grands classiques étaient coupés, montés et déformés pour cadrer avec les exigences de la propagande de gauche. Leopold Jessner, que Gay appelle «l'homme le plus puissant dans le théâtre de Weimar», mit en scène une déformation délibérée du Guillaume Tell de Schiller dans laquelle toutes les références patriotiques à la Patrie furent coupées et la pièce transformée en un appel à la révolution. Le tyran Gessler était dépeint comme une caricature de Junker couvert de médailles. Albert Bassermann jouait Tell et Fritz Kortner jouait Gassier. Tous deux étaient juifs. La pièce fut produite en 1919. Gay pouvait bien dire: «Hugo Preuss, l'architecte de la Constitution de Weimar, était un symbole de la révolution; en tant que Juif, et en tant que démocrate de gauche ... lui, l'étranger, donnait forme à la nouvelle République, sa République.» Dans son étude de la Weltbühne, Deak nous dit que c'était le devoir de ce journal de plaider la cause du criminel condamné, de la mère avorteuse, de l'homosexuel et de la prostituée. En 1925, Erich Leisar, dans ses pages, demandait la légalisation de l'avortement. Le magazine épousa ardemment la cause de George Gross dans son procès (il fut acquitté) pour avoir publié un dessin satyrique blasphématoire. Kurt Hiller demanda l'abolition des lois contre l'homosexualité, et Magnus Hirschfeld fit même des objections à l'interdiction des rapports immoraux entre adultes et enfants. Kurt Tucholsky, un rédacteur de la Weltbühne, écrivit que le journal servait une bonne cause, celle de transformer Teutschland en Deutschland (Teuschland est une forme archaïque utilisée symboliquement pour représenter tout ce qui était traditionnel et historique en Allemagne). Un bref coup d'œil sur quelques-unes des déclarations et attitudes de Tucholsky rapportées dans l'ouvrage de Deak pourrait bien incarner cet échantillon limité de notre sujet. Que «...le judaïsme et le patriotisme allemand inconditionnel sont des propositions mutuellement exclusives» pourrait bien être vrai, et Tucholsky semble avoir cherché tout point sensible et exposé qu'il pouvait trouver afin d'en jouer. Sa cible favorite était l'Armée. Les officiers allemands pendant la guerre, déclara-t-il, s'étaient plus occupés de leurs putains que de leurs hommes. Dans un jeu de mots brillant mais sauvage sur Ein Volk der Dichter und Denker (un peuple de poètes et de penseurs), il appela les Allemands «Ein Volk der Richter und Henker» («un peuple de juges et de bourreaux»): ... nous trahissons un Etat que nous désavouons ... Le pays que je trahis soi-disant n'est pas mon pays; cet Etat n'est pas mon Etat; ce système judiciaire n'est pas mon système judiciaire. Ses diverses bannières sont pour moi aussi insensées que ses idéaux provinciaux.Tucholsky abandonna finalement la rédaction de la Weltbühne et partit vivre à Paris. Son successeur fut accusé de trahir des secrets militaires et condamné à la prison en 1931. Dans la musique (ou peut-être l'anti-musique), le nom de Arnold Schönberg est célèbre. Le prophète de l'atonalité développa son système des douze tons et son Sprechgesang en 1924. L'année suivante eut lieu la première représentation de l'opéra d'Alben Berg, Wojzek, qui utilisait le système de Schönberg. Le «héros» est un soldat ignorant qui commet un meurtre et se suicide. En 1928, le Dreigroschenoper [l'Opéra de quat' sous] de Bertolt Brecht ouvrit sur le Schiffbauerdamm, avec la musique de Kurt Weill. Le milieu de la pièce est le monde de prostituées, de voleurs et de mendiants du Lumpenproletariat. Barbara Sapinsley le décrit comme «une parodie de la société moderne, la montrant dirigée par un monde souterrain criminel». Mackie Messer, dit Gay, reproche à son audience bourgeoise d'aimer son gros ventre et lui dit: «Erst kommt das Fressen, dann kommt die Moral» [«D'abord vient la bouffe, ensuite la morale»]. Deak nie que Brecht était un Juif mais admet que dans au moins deux publications il est classé ainsi. La propre attitude de Deak peut être jugée par sa déclaration: «... des communistes comme Bertolt Brecht ... [et d'autres] ... furent responsables d'une grande partie de la brillance et de la vitalité culturelles de la période de Weimar». Une autre version diabolique se trouve dans les œuvres de Franz Kafka. Günther Anders, discutant de l'art de Kafka, compare le concept de la beauté de ce dernier à la tête de la Gorgone. Kafka argue que l'existence du mal prouve l'existence d'un Dieu mauvais: autorité divine, loi et mal ne font qu'un. La qualité juive essentielle de la pensée de Kafka, dit Anders, réside dans son rejet total du concept de «Nature», d'un domaine préservé de beauté et de révérence, séparé de l'homme et des institutions humaines. Il faut dire un mot d'une institution dont la durée coïncida exactement avec celle de la République elle-même: le Bauhaus. Le Bauhaus fut créé par Walter Gropius dans la ville de Weimar en 1919 comme une école d'«unité artistique». Les noms associés avec lui n'étaient pas tous des noms juifs. Gropius lui-même n'était pas juif (Franz Werfel s'était converti du judaïsme au catholicisme). Mais la plupart des figures importantes de ce milieu étaient des Juifs: Paul Klee, Wassily Kandinsky, Lyonel Feininger, Gerhard Marcks, Oskar Schlemmer, Laslo Moholy-Nagy, Josef Albers, entre autres. Son esprit ultime fut le «pessimisme frénétique». En 1925 les citoyens de Weimar expulsèrent les artistes du Bauhaus de leur ville, dit Deak, d'où ils partirent pour Berlin, via Dessau. Telle était alors l'Allemagne dans laquelle arriva le jeune Rosenberg venant de la Russie bolchevique, et qu'il regarda avec répugnance, colère et dégoût. Et ainsi commença-t-il sa carrière fatale dans le tout nouveau Parti National Socialiste des Travailleurs Allemands. Il rejoignit le parti en 1919 après avoir assisté à un meeting au cours duquel il tomba immédiatement et pour toujours sous le charme d'Hitler. En 1921, il devint le rédacteur du journal du parti, le Völkischer Beobachter. Il contribua à un grand nombre d'articles et écrivit et publia quelques livres relativement mineurs. Après l'emprisonnement de Hitler et de Hess à Landsberg en 1924, Rosenberg devint une sorte de gardien du parti nazi alors interdit. Avec le temps, il devint le directeur du service de politique étrangère du parti (à ne pas confondre avec le service des affaires étrangères du gouvernement) et fut aussi chargé de définir la politique du parti concernant l'enseignement secondaire et supérieur. En 1940, il dirigea un service spécial qui avait la responsabilité de collecter et de sauvegarder les trésors artistiques dans les territoires occupés de l'Est. Cela lui valut d'être accusé à Nuremberg du pillage général des trésors artistiques. Il peut être utile de se rappeler au passage que quelque 6.000 peintures allemandes furent «libérées» par les autorités américaines d'occupation après la Seconde guerre mondiale et emmenées aux Etats-Unis pour être conservées à Pueblo au Colorado. Le président Carter a récemment repoussé une requête des autorités de Bonn demandant la restitution des peintures à leurs propriétaires allemands. En 1941, Rosenberg reçut la responsabilité d'établir l'administration civile des territoires occupés en Russie et dans les pays baltes. Cette nomination semble avoir été -- ou être bientôt devenue -- un simple poste formel. Ses subordonnés nominaux, des hommes comme Erich Koch et Heinrich Löhse, exerçaient le véritable pouvoir administratif. Quant aux SS, ils étaient sous le contrôle de Heinrich Himmler et totalement indépendants des services de Rosenberg. A Nuremberg, Rosenberg fut aussi accusé d'avoir encouragé l'invasion de la Norvège. Ce fut véritablement une monstrueuse pièce d'hypocrisie alliée. Les eaux territoriales norvégiennes avaient déjà été délibérément violées par la marine britannique, comme dans l'affaire de l'Altmark. A l'époque de l'invasion allemande, une force expéditionnaire anglo-française était déjà en cours de formation et les Allemands la battirent simplement sur la ligne d'arrivée. La confusion fut alors telle que Neville Chamberlain émit même la vantardise que «Hitler a manqué le bus» quand les Alliés débarquèrent à Narvik. Quand la vie et la carrière de Rosenberg sont examinées avec impartialité et détachement -- ainsi qu'on pourrait l'espérer après le passage d'une si longue période de temps -- on est obligé d'arriver à la conclusion que son véritable «crime» fut le racisme et, plus spécifiquement, l'antisémitisme. Il fut pendu, semble-t-il, pour ce qu'il pensait et écrivit. Le procureur américain insista lourdement sur ce point. Les écrits de Rosenberg, accusa-t-il, avaient été instrumentaux dans la montée au pouvoir du parti nazi. C'est une curieuse sorte d'accusation de la part du représentant d'une puissance qui est toujours si béatement auto-satisfaite concernant le Premier Amendement. Rosenberg fut marié deux fois. Sa première femme, Hilda Leesmann, fut danseuse de ballet et une pianiste classique accomplie. Il la rencontra à Riga et ils se marièrent en 1915. Elle contracta la tuberculose, apparemment en résultat des terribles privations accompagnant la guerre en Europe de l'Est et pendant la révolution bolchevique. Elle alla en Suisse en 1918. Alfred et elle ne se revirent plus et en 1923 il lui accorda le divorce. En 1925, il se maria avec Hedwig Kramer. Ils eurent un fils qui mourut en bas âge et une fille, Irene, née en 1930. Hedwig et Irene se retirèrent autant que possible de la vie et de l'attention publiques après 1946. Pourquoi lirait-on le Mythe aujourd'hui? En tant que livre, il peut faire l'objet de nombreuses critiques. Ce n'est pas un traité scientifique sur la race. Ce n'est pas un ouvrage d'histoire élevé et détaché (je ne dirai pas «impartial» parce l'impartialité historique est une noble illusion, impossible à atteindre), Rosenberg n'est pas un styliste. Son esprit précède sa syntaxe et les propositions subordonnées se succèdent après ses phrases d'origine. Le résultat, trop souvent, rappelle la plaisanterie de Mark Twain: «Quand un Allemand instruit se lance dans une phrase, vous ne le voyez plus jusqu'à ce qu'il émerge de l'autre coté de l'Atlantique avec le verbe dans sa bouche». Ses citations ne se conforment pas aux canons acceptés de l'érudition. Tout en étant manifestement honnêtes et authentiques, elles sont souvent incomplètes par rapport aux données publiées. Mais quand tous ces aspects négatifs ont reçu toute l'attention méritée, il reste toute une série d'arguments les plus sérieux pour le lire. Pour les étudiants en histoire, le Mythe est un important document historique. Pour les étudiants en politique et en psychologie politique, c'est aussi le cas. Il contient une érudition vaste et très impressionnante. Il ne serait pas excessif de dire qu'il met en évidence l'âme d'un homme et peut-être celle d'une nation, ou du moins celle d'une époque. Notre connaissance et notre compréhension de l'idéologie et de l'esprit du Troisième Reich et, en fait, de ses antécédents immédiats, seraient gravement incomplètes sans le Mythe. Ce n'est pas la fonction de l'auteur d'une introduction à l'œuvre d'un autre homme d'exposer le contenu et les arguments de cette œuvre. C'est encore moins sa fonction d'analyser et d'établir les pour et les contre de l'argumentation, ou la validité des vues de l'auteur. Brièvement, donc, et en conclusion, la vision de Rosenberg est que les diverses races humaines possèdent chacune une âme raciale. Ces âmes raciales sont aussi durables et immuables que le phénotype racial -- ni plus ni moins. Elles donnent naissance à des cultures, des valeurs, des religions et des systèmes politiques qui sont uniquement en rapport avec la race en question, et qui sont étrangers à toute autre race. Le métissage provoque la dégénérescence et la destruction de ces cultures en raison d'une sorte d'état schizophrène de bâtardise raciale. L'homme aryen a créé toutes les grandes civilisations de l'Inde ancienne, de la Perse ancienne, de la Grèce, de Rome, et probablement de l'Egypte. Chacune a fini par décliner et par s'effondrer en raison du mélange racial. Ce n'est certainement pas une idée nouvelle. Au second siècle, contemplant la population polyglotte et multiraciale d'une Rome qui était alors principalement peuplée de Levantins, d'Egyptiens et d'autres immigrants du Proche-Orient, Juvénal prononça sa fameuse mise en garde: In Tiberim defluxit Orontes [dans le Tibre se déverse l'Oronte]. La dernière grande civilisation aryenne est celle créée par les branches teutoniques de la race aryenne depuis la chute de Rome. Cette civilisation est maintenant menacée par une rébellion et une résurgence des éléments non-aryens -- en particulier les Juifs et le christianisme levantin. Les valeurs naturelles de l'homme aryen incluent le concept d'honneur qui passe avant l'éthique chrétienne d'amour et de pitié diffus et indiscriminés. Le panthéon aryen est un panthéon de dieux célestes, pas de déités terrestres ou souterraines (chtoniennes). La société aryenne est patriarcale plutôt que matriarcale. L'homme aryen est le premier et seul type racial qui a été capable de construire des systèmes de pensée scientifiques et d'investigation rationnels, dégagés de corruptions superstitieuses ou religieuses. Pourquoi Rosenberg pensait-il de cette manière? Quelles preuves ou quelle argumentation avance-t-il pour appuyer sa cause? Pour cela, patient lecteur, vous devez lire ce livre. Peter Peel, Reseda, Californie 1980
Ce texte constitue le préface de la traduction anglaise du livre de Alfred Rosenberg, The Myth of the Twentieth Century (Der Mythus des 20. Jahrhunderts), trad. Vivian Bird (Newport Beach, CA: Noontide Press, 1982), p. vii-xxiv. |