Le « Protocole Hossbach » : destruction d'une legende |
Das Hossbach-Protokoll : die Zerstörung einer Legende, par Dankwart Kluge. Leoni am Starnberger See : Druffel Verlag [D-81311, 1980, 168pp., DM 19,80]. Présenté par Mark Weber Hitler, on nous l'a dit mille fois, voulait conquérir le monde, ou au moins l'Europe. Pendant le grand procès de Nuremberg après la guerre, les Alliés victorieux tentèrent de prouver que Hitler et ses «acolytes» étaient engagés dans une sinistre «conspiration pour mener une guerre d'agression» . La plus importante preuve produite pour appuyer cette accusation était et est un document connu sous le nom de «Protocole Hossbach» ou «Mémorandum Hossbach». Le 5 novembre 1937, Hitler convoqua quelques hauts dirigeants pour une conférence à la Chancellerie du Reich à Berlin: le Ministre de la Guerre Werner von Blomberg, le Commandant de l'Armée Werner von Fritsch, le Commandant de la Marine Erich Raeder, le Commandant de l'Aviation Hermann Göring, et le Ministre des Affaires étrangères Konstantin von Neurath. Etait aussi présent le conseiller militaire de Hitler, le colonel-comte Friedrich Hossbach. Cinq jours plus tard, Hossbach rédigea de mémoire un compte-rendu non autorisé de la réunion. Il n'avait pas pris de notes pendant la conférence. Hossbach affirma après la guerre qu'il avait par deux fois demandé à Hitler de lire le mémorandum, mais le Chancelier répondit qu'il n'avait pas le temps. Apparemment aucun des autres participants ne connaissait l'existence du compte-rendu du colonel sur la conférence. Ils ne considéraient pas non plus cette rencontre comme particulièrement importante. Quelques mois après la conférence, Hossbach fut affecté à une autre fonction. Son manuscrit fut classé avec de nombreux autres documents, et oublié. En 1943, un officier d'Etat-major, le colonel-comte Kirchbach trouva le manuscrit en consultant le fichier et en fit une copie pour lui-même. Kirchbach laissa le document original dans le dossier et donna sa copie à son beau-frère, Victor von Martin, pour la mettre en sûreté. Peu de temps après la fin de la guerre, Martin transmit cette copie aux autorités d'occupation alliées, qui l'utilisèrent pour produire une version substantiellement retouchée comme pièce à conviction à Nuremberg. Des phrases telles que celle où Hitler disait que «la question allemande ne peut être résolue que par la force» furent inventées et insérées. Mais surtout, le document présenté à Nuremberg est moitié moins long que le manuscrit Hossbach d'origine. L'original écrit par Hossbach et la copie de Kirchbach / Martin ont tous deux complètement (et opportunément) disparu. D'après le document Hossbach présenté à Nuremberg et largement cité depuis, Hitler déclara aux personnes présentes que ses remarques devaient être considérées comme un «testament politique» au cas où il mourrait. La partie la plus accablante cite Hitler disant que les forces armées devraient agir au plus tard en 1943-45 pour assurer «l'espace vital» («Lebensraum») nécessaire à l'Allemagne. Cependant, si la France était affaiblie par une crise interne avant cette date, l'Allemagne devrait agir contre la Tchéquie (Bohême et Moravie). Ou si la France était impliquée dans une guerre (probablement contre l'Italie) au point qu'elle ne pourrait plus agir contre l'Allemagne, alors l'Allemagne s'emparerait de la Tchéquie et de l'Autriche simultanément. Les soi-disant allusions de Hitler à «l'espace vital» allemand se réfèrent seulement à l'Autriche et à la Tchéquie. Lorsque Hitler arriva au pouvoir en 1933, l'Allemagne était militairement à la merci des états étrangers hostiles. Le réarmement avait commencé lentement, et au début de 1937, à cause d'un manque de matières premières, les trois branches de l'Armée durent subir des restrictions. Une violente dispute éclata entre les trois branches à propos de la répartition du reliquat. Contrairement à ce que le protocole Hossbach suggère, Hitler convoqua la conférence du 5 novembre 1937 en partie pour réconcilier les chefs des différentes branches militaires, et en partie pour relancer le programme allemand de réarmement. La politique étrangère était seulement une question subsidiaire. Hitler cherchait à justifier la nécessité de reconstruire la force militaire allemande en présentant plusieurs cas de crises internationales hypothétiques et exagérées, qui requerraient une action militaire, et aucune d'entre elles ne se produisit jamais. Hitler n'annonça aucune nouvelle orientation pour la politique étrangère allemande, encore moins un plan pour une guerre d'agression. A Nuremberg, Göring affirma que Hitler lui avait dit en privé juste avant la conférence que le but principal en convoquant la conférence était «de mettre la pression sur le général Von Fritsch, car il [Hitler] n'était pas satisfait du réarmement de l'armée». L'amiral Raeder confirma la déclaration de Göring. Comme certains autres conservateurs aristocrates et traditionalistes, Hossbach devint un opposant acharné d'Hitler et du régime national-socialiste. Il était un ami intime du général Ludwig Beck, qui fut exécuté en 1944 pour son rôle dirigeant dans la conspiration qui tenta d'assassiner Hitler et de renverser le gouvernement. En dépit de ses dénégations après la guerre, il est virtuellement certain que Hossbach prépara sa version biaisée de la conférence à la demande de Beck dans le but d'une utilisation possible pour discréditer le régime d'Hitler après un coup d'état. Hossbach était également proche de l'amiral Wilhelm Canaris, chef du renseignement militaire, et du général Ziehlberg, qui furent tous deux exécutés pour leur rôle dans le complot d'assassinat de 1944. Déjà au début de 1938, Hossbach, Beck et Canaris étaient en faveur d'un coup d'état pour renverser Hitler par la force. Le mémorandum Hossbach est fréquemment cité dans les livres d'histoire grand public, comme une preuve concluante des plans d'Hitler pour une guerre d'agression. Un bon exemple est le best-seller -- mais non fiable -- de [journaliste juif] William Shirer Le IIIè Reich, des origines à la chute, qui prétendait que le protocole constituait «le tournant décisif dans la vie du IIIè Reich». Pendant cette conférence critique, écrivait Shirer, «... les dés étaient jetés. Hitler avait communiqué sa décision irrévocable de faire la guerre. Pour la poignée d'hommes qui auraient à la mener, il ne pouvait plus y avoir aucun doute». Comme beaucoup d'autres propagandistes germanophobes, Shirer cite de manière trompeuse le mémorandum Hossbach comme un document fiable. Il fausse même l'importance réelle des participants à la conférence, à l'époque de la guerre. Sur les cinq hauts dirigeants présents, trois (Blomberg, Fritsch, Neurath) perdirent leurs postes quelques mois après la rencontre. Raeder fut remplacé au Commandement de la Marine [par l'amiral Dönitz, NDT] en janvier 1943. Seul Göring était vraiment un proche de Hitler. Le rôle important du frauduleux protocole Hossbach au Tribunal de Nuremberg est une autre confirmation accablante du caractère illégitime, théâtral, de la plus extravagante entreprise judiciaire de l'histoire. Sur la base du protocole, qui devint le document de Nuremberg 386-PS, l'accusation du Tribunal déclara: «Un groupe influent de conspirateurs nazis se réunit avec Hitler le 5 novembre 1937 pour discuter de la situation. Une fois de plus, il fut souligné que l'Allemagne devait acquérir de l'espace vital en Europe centrale. Ils reconnurent qu'une telle conquête rencontrerait probablement une résistance qui devrait être brisée par la force, et que leur décision mènerait probablement à une guerre générale». Le procureur américain Sidney Alderman déclara au Tribunal que le mémorandum («l'un des documents saisis les plus frappants et les plus révélateurs») enlevait tous les doutes restants quand à la culpabilité des dirigeants allemands pour leurs crimes contre la paix. Il fut aussi la base pour la conclusion des juges de Nuremberg, selon laquelle la «conspiration allemande pour mener une guerre d'agression» commença à la conférence du 5 novembre 1937. Le document fut crucial pour la condamnation de Göring, Neurath et Raeder pour leurs rôles dans la «conspiration criminelle». Le protocole Hossbach falsifié est beaucoup trop typique du genre de preuves utilisées par les Alliés victorieux à Nuremberg pour légitimer l'emprisonnement et l'exécution des dirigeants de l'Allemagne vaincue. Il n'y a pas de doute que le protocole Hossbach est sans valeur comme document historique. Après la guerre, Hossbach et Kirchbach déclarèrent tous deux que la version présentée par le procureur américain était assez différente du document manuscrit dont ils se rappelaient. Hossbach témoigna aussi à Nuremberg qu'il ne pouvait pas confirmer que la version de l'accusation correspondait complètement au manuscrit qu'il écrivit en 1937. Et dans ses mémoires, il reconnut qu'en tous cas, Hitler n'esquissa aucune sorte de «plan de guerre» durant la réunion. A Nuremberg, Göring, Raeder, Blomberg et Neurath [Fritsch était mort en 1939] dénoncèrent tous le protocole Hossbach comme une représentation complètement faussée de la conférence. Le protocole traite seulement de la première moitié de la réunion, déformant ainsi son vrai caractère. Le mémorandum se termine par la simple phrase: «La seconde moitié de la conférence traite des questions d'armement». Aucun détail n'est donné. En 1968 Victor von Martin décrivit le mémorandum par ces mots: «Le protocole présenté au tribunal de Nuremberg fut assemblé d'une manière telle qu'elle changeait totalement la signification [de l'original] et peut donc être qualifié seulement de falsification grossière». Lorsqu'il écrivit son étude contestatrice, The Origins of the Second World War [«Les origines de la Seconde Guerre Mondiale»], A.J.P. Taylor accepta le mémorandum Hossbach comme un compte-rendu véridique de la réunion du 5 novembre 1937. Cependant, dans un supplément intitulé «Réflexion faite» ajouté aux éditions suivantes, le célèbre historien britannique admit qu'initialement il «s'était fait avoir» par la «légende» du document. La conférence soi-disant significative était en réalité «une manoeuvre dans des affaires domestiques». Le protocole lui-même, nota Taylor, «ne contient pas de directives d'action allant au-delà d'un souhait de renforcer les armements» . Il remarqua ironiquement que «ceux qui croient aux procès politiques devraient continuer à citer le mémorandum Hossbach». H.W. Koch, un enseignant à l'Université de York (Angleterre), finit de démanteler la légende dans un article en 1968, qui conclut que l'infâme protocole serait «inacceptable dans tout autre tribunal que celui de Nuremberg». Dankwart Kluge a apporté une précieuse contribution à notre compréhension des origines de la 2ème Guerre Mondiale. Son étude apparaîtra pendant de longues années comme la dissection la plus magistrale d'une grande fraude documentaire. Son remarquable travail comprend le texte complet du protocole Hossbach en appendice, quatre photos, et une bibliographie complète. L'auteur est né en 1944 à Breslau (Wroclaw) en Silésie. Depuis 1974 il a travaillé comme avocat à Berlin-Ouest. Kluge a fait un travail admirable en rassemblant sa documentation, qui provient non seulement de toutes les sources documentaires ou publiées disponibles, mais aussi de nombreuses interviews privées et de sa correspondance avec des témoins-clé. Kluge soutient sa cause de manière irrésistible, bien que le style narratif soit un peu faible. Cette importante étude ne laisse pas de doute que le célèbre protocole est en fait une révision falsifiée d'une copie non-certifiée d'un original non-autorisé, qui a disparu. Harry Elmer Barnes, à qui l'ouvrage est dédicacé, l'aurait accueilli chaleureusement.
Journal of Historical Review, 4/3 (Fall 1983), 372ff. |