Fascination : deux ecrivains francais face à l'allemagne nationale-socialiste

Le sacrilège d'Alphonse de Châteaubriant 

Alphonse de Châteaubriant (1877-1951) était un écrivain d'origine bretonne, aristocrate, très «vieille France», profondément chrétien, nostalgique de la monarchie. Il avait obtenu le Prix Goncourt pour son livre Monsieur des Lourdines. En 1937, il était célèbre, et avait toutes les chances d'entrer à l'Académie Française. C'est alors que sa femme, qui connaissait bien l'Allemagne, l'entraîna dans un voyage outre-Rhin. Et le digne aristocrate eut le coup de foudre pour Hitler et le national-socialisme. Et il écrivit son livre sacrilège, La Gerbe des Forces. Comme l'écrit Saint-Loup [Marc Augier]: «Alphonse de Châteaubriant était un très grand chrétien dont on dirait aujourd'hui qu'il était 'en recherche'. Au cours de leur recherche, les catholiques progressistes contemporains tombent sur Marx. Châteaubriant tomba sur Hitler. C'est ainsi. On n'y peut rien. Personne n'y peut rien. Sauf interdire le bouquin, ce qui fut assuré par la Sécurité militaire [gaulliste] en août 1944.» 

Marc Augier continue: «Avec quelques réserves dues à sa foi chrétienne, Châteaubriant bascule dans l'ordre nouveau et le fait savoir en trois cent pages fulgurantes. (...) Scandale énorme dans un monde atrocement conformiste où la propagande mondialiste prépare à la Seconde Guerre civile européenne. (...) Ce qu'il dit de Hitler dans ce livre consterne les bien-pensants, provoque la colère des allogènes maîtres de l'opinion.» 

Voici quelques passages du livre «sacrilège», aujourd'hui introuvable: 

«Hitler est avant tout un poète, un grand coeur et c'est pour l'homme de toutes les nations qu'il a réfléchi. 

L'homme qui gouverne l'Allemagne hitlérienne, il faut avoir assez de connaissance humaine pour le déceler et de courage pour l'entendre, est un homme exceptionnel dont l'esprit puise ses idées, non dans les régions glacées de l'ambitieuse habileté politicienne, mais dans un amour profond et dans une discipline de soi-même dont n'ont aucune idée les professionnels de la rouerie et de la combine. 

Hitler, un génie plus vaste que celui de l'individualité, plus profond que celui de l'esprit ... un génie national, un génie de race qui incarne son peuple entier. 

Ses yeux sont du bleu profond des eaux de son lac de Königsee, quand le lac tout autour de Sankt Bartholoma reflète les puissantes cassures striées de nuages de son Tyrol. Il est exaltant de se trouver près de lui quand il parle. (...) Son corps vibre sans s'évader une seconde du galbe de sa tenue; son mouvement de tête est juvénile, sa nuque est chaude. Ce dos-là n'a pas été cabossé par les sales passions de la politique; il est plein et pur comme un tuyau d'orgue. Et la main fine est vive, alerte, souple, intelligente, féminine. Oui, sans doute, il reste de la femme dans cet homme-là. Heureusement. 

Oui, Hitler est bon. Regardez-le au milieu des enfants, regardez-le penché sur la tombe de ceux qu'il aimait, il est immensément bon et, je le répète: bon, avec la conviction parfaite que cette affirmation scandaleuse n'empêchera pas les délicieux, les incomparables raisins français de mûrir sur les coteaux de Beaugency. 

Dans le monde, se forme en ces jours un mouvement dans lequel s'exprime tout l'essentiel du christianisme: l'oubli de soi-même, le sacrifice de soi-même. Le national-socialisme fut un jaillissement religieux.» 

(extraits de La Gerbe des Forces, 1937) 

Plus tard, Hitler rencontra Châteaubriant et lui dit, en prenant ses mains dans les siennes: «Monsieur l'écrivain français, vous avez compris le national-socialisme mieux que les 99% d'Allemands qui votent pour moi!» 

En août 1940, Châteaubriant écrira encore: «Au milieu des peuples fatigués, l'Allemagne seule donne des preuves incontestables de vie ardente. L'Europe sans l'Allemagne n'est plus qu'un passage libre pour toutes les grandes invasions prochaines.» 
 

L'auto-censure de Henry de Montherlant 

Après l'effondrement de la République française en juin 1940, le célèbre écrivain français Henry de Montherlant (1896-1972) publia un livre qui impressionna nombre de lecteurs: Le solstice de juin (Grasset, 1941). Le livre fut réédité en 1962 dans la collection des «Essais» de la Bibliothèque de la Pléiade. Or il apparaît que les deux éditions diffèrent quelque peu. Montherlant lui-même, dans une note de l'édition de 1962, indique qu'il a coupé certains passages, mais se garde bien d'en évoquer certains autres. Il s'agit en fait d'une auto-censure, assez surprenante et peu glorieuse pour un écrivain «aristocratique» comme Montherlant. Mais quand on lit ces passages, on comprend mieux la raison de cette prudence, ou de ce manque de courage, à chacun de juger. Montherlant y exprimait une admiration assez évidente pour l'Allemagne victorieuse et païenne, et pire un appel très peu voilé à l'«union» «sous l'emblème de la Roue solaire», à «l'acceptation», et à «l'adhésion»; il n'y manque même pas une condamnation à l'avance de la Résistance, et du gaullisme embryonnaire («petite fronde puérile et sordide»), avec des mots très durs. 

Voici les passages en questions, qui n'apparaissent pas non plus dans l'édition de Gallimard en 1976 (qui réunit en un seul volume L'équinoxe de septembre et Le Solstice de juin, avec l'ajout d'un texte inédit, Mémoire, écrit en 1948, où Montherlant se défend d'avoir été un écrivain «engagé» - engagé à droite, évidemment ...). 

«A nos trousses, la païennie déferlait, ses casques ceints de couronnes de branchages: 'Ils nomment dieu le secret des bois'. Ses milliers de blindés faisaient le roulement de la mer. On prenait des villes avec dix bicyclettes, dix garçons débraillés, ruisselants de sueur, l'arme à la bretelle, et qui s'amusaient rudement. Et je pensais que la terre qu'elle gagnait maintenant lui était acquise, que les clochers abattus par ses feux ne seraient plus reconstruits jamais, et qu'un jour viendrait où je verrais flotter l'étendard de la Roue solaire sur les tours de Notre-Dame de Paris. La cité n'était plus la cité de Geneviève, mais la cité de Julien. Le pays n'était plus le pays des Saintes, mais le pays de l'Empereur. De gré ou de force, la France était jetée hors de l'image d'Epinal qu'elle avait laissé tirer d'elle-même. Elle devait, si elle voulait vivre, inventer une forme inédite de son génie». (p. 303) 

Note 

«Ils nomment dieu le secret des bois»: allusion à un passage de Tacite dans La Germanie. «La Roue solaire» est évidemment la croix gammée, symbolisant le retour du paganisme («la païennie»). «La cité de Geneviève»: il s'agit de Sainte-Geneviève, qui rassura les Parisiens lors du passage d'Attila, qui n'attaqua pas la ville. «Julien» est l'Empereur romain, restaurateur du paganisme, et du culte solaire. «L'Empereur» est évidemment celui du Saint-Empire Romain Germanique, reconstitué par Hitler. La France féminine («le pays des Saintes») a été vaincue par l'Allemagne masculine. «L'image d'Epinal qu'elle avait laissé tirer d'elle-même» est une phrase très sévère, allusion à la sclérose de la France, qui s'est endormie sur les lauriers de sa gloire passée, s'accrochant à un rang qu'elle ne mérite plus. La phrase peut aussi être interprétée comme une critique voilée de la République et d'une certaine classe dirigeante. 

 

«Aujourd'hui, si la France et l'Allemagne, unies sous l'emblème de la Roue solaire, voulaient rendre à la vie souterraine, le temps d'une saison ou deux, la saison de Constantin ...Mettre en sommeil le christianisme». (p. 306) 

Note 

Dans ce paragraphe, Montherlant appelle tout bonnement au rejet du christianisme («la saison de Constantin»), au réveil de l'identité profonde païenne («la vie souterraine»), et à l'union avec l'Allemagne dans une nouvelle culture. 
 

«La France a à prendre, dans un système nouveau, la place que, bien avant l'épreuve de force, elle s'était elle-même donnée: la défaite n'a été qu'un signe, parmi d'autres moins éclatants. Elle a à réaliser que le droit du vainqueur sur le vaincu n'est limité que par l'intérêt du vainqueur: aucune voix, même parmi les plus pures, avant l'ère moderne, n'a protesté contre les droits de la conquête, non plus que contre la guerre elle-même. Elle a à réaliser que les relations franco-allemandes ne seront fécondes que si elles jouent dans ce même climat révolutionnaire où est née l'Allemagne hitlérienne, puisque ce que nous avons vécu et supporté, ce que nous allons vivre et supporter n'a de sens qu'en fonction de la révolution véritable qui est l'enjeu de la guerre actuelle. Elle aurait enfin à faire son profit des leçons qu'en beaucoup d'ordres lui donne le vainqueur. Mais de cela je ne parle que pour mémoire. Je crains qu'il n'en soit pas question». (p. 309) 

Note 

«La défaite n'a été qu'un signe»: encore une phrase très dure, qui signifie que la décadence de la France était très profonde et déjà ancienne, l'effondrement de juin 40 n'étant que l'aboutissement du processus. Montherlant appelle ensuite à accepter de bonne grâce la défaite, et les leçons du vainqueur. Plus, il accorde à l'Allemagne une dimension «révolutionnaire» (idée positive en France) et laisse entendre que l'Allemagne lutte pour un enjeu de civilisation qui dépasse ses intérêts nationaux. Mais il semble sceptique sur la capacité des Français à se hisser à une telle hauteur de vue. 
 

«Pas de lamentations, d'abord (la première des disciplines). Pas de bouderie (et le temps des remords mêmes me semble dépassé). Pas de petite fronde, puérile et sordide, par laquelle on se donne l'illusion ou le masque du patriotisme, et qui lui est une insulte: c'est avant et pendant qu'il fallait chercher à embêter l'adversaire, non après. Pas de violence, qui ne saurait être que verbale, et la violence impuissante, rien de plus laid. Pour une fois, être beau joueur. Ne pas entrer dans l'avenir en rechignant. Nous retourner du tout, et dire oui, de bon coeur, à ce qui vient d'arriver. Double acceptation: de la réalité en tant que telle; puis d'un événement juste: nous avons été battus on ne peut plus régulièrement, et à tous les degrés. Acceptation. Ensuite, adhésion». (p. 311) 

Note 

C'est le passage le plus compromettant de ce texte de Montherlant: il condamne préventivement toute résistance à l'occupant allemand, et même tout immobilisme, avec des mots très cruels, et on ne peut pas ne pas y voir une allusion à De Gaulle («le masque du patriotisme» qui en réalité «lui est une insulte»). «Pour une fois, être beau joueur» revient à dire que c'est un comportement rare chez les Français. Autrement dit, le Tartarin français a été déculotté par le Siegfried allemand: telle est la dure réalité. Il laisse entendre que l'Allemagne représente «l'avenir». Il qualifie la défaite «d'événement juste». Et, touche finale, le mot «adhésion»: ce ne peut être qu'à un nouvel ordre européen, dominé par l'Allemagne. 


 

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